L’article précédent « Accès libre » a suscité plusieurs réflexions (voir commentaires de l’article) et j’en remercie les auteurs.
Pour ne pas ajouter à la confusion en répondant à la suite de ces commentaires, je reprends ici les questions posées par certains pour tenter d’y répondre.

François Schreuer relève deux points faibles de mon argumentation :

« Un premier point, que vous n’abordez pas directement, est celui du financement des revues en accès libre. Sans doute des solutions pratiques sont envisageables (subventions publiques, prise en charge directement par les universités) sans trop de difficultés, mais je serais heureux de connaître celle que vous privilégiez. Ce point reste d’ailleurs un des arguments saillants des défenseurs du modèle propriétaire. D’autant qu’il me semble avoir lu à plusieurs reprises que le ‘peer reviewing’ est, dans un certain nombre de cas, rémunéré par les revues. »

En effet, ce problème n’est pas sans intérêt: on ne peut remplacer une solution coûteuse par une solution gratuite !

Il est clair que le principe de l’Open Access (OA) implique le transfert du paiement du lecteur à l’auteur. Et que, vu le nombre de lecteurs par rapport au nombre d’auteurs, on doit s’attendre à un flux financier bien moindre au total. Cependant, il ne faut pas négliger le fait que les lecteurs sont des auteurs, très généralement, et que cet effet est sans doute moins énorme qu’il n’y paraît à première vue.

Les responsables des revues actuellement disponibles en OA ont trouvé la parade en demandant aux auteurs de contribuer au coûts et en offrant aux universités la possibilité de prendre ces frais en charge pour leurs chercheurs, en pratiquant des prix réduits. C’est l’option que je préfère, dans la mesure où le passage à l’OA réduira les coûts de la documentation largement prise en charge aujourd’hui par les universités. Mais que les celles-ci participent ou non, il est simple de prévoir, dans les frais de recherche, des frais de publication. Cette nouvelle pratique doit être rapidement admise et encouragée par les bailleurs de fonds de recherche, au même titre que de l’argent de fonctionnement ou d’équipement. Elle contribuera d’ailleurs, on peut l’espérer, à une certaine responsabilisation du chercheur et à une diminution de la pléthore actuelle d’articles scientifiques inutiles ou redondants. Cette pléthore s’explique d’une part par la spirale infernale du « publish or perish » qui pousse les chercheurs, surtout les jeunes, à tenter de publier n’importe quoi, ce qui submerge les ‘reviewers’ et noie l’information importante, et d’autre part par la voracité de certaines maisons d’édition qui multiplient à l’infini les revues en raison de leur rentabilité démesurée.

Il va de soi que les versions ‘papier’ (pour ceux qui souhaitent encore, et c’est bien compréhensible, feuilleter réellement et non virtuellement les revues, les lire dans leur fauteuil chez eux ou, en tout cas, garder un rapport physique au texte écrit) doivent rester payantes par le lecteur.

Enfin, le ‘peer reviewing’ rémunéré reste une pratique rare et c’est heureux: le désintéressement est un des piliers de l’objectivité en matière de contrôle de qualité. Il n’est donc nullement souhaitable de voir cette pratique se généraliser et les chercheurs eux-mêmes doivent s’en défendre.

« Un second point est celui de l’impact des grandes revues qui ne va pas s’effondrer tout seul, loin s’en faut. Tant au niveau belge (là, des solutions sont sans doute possible à moyen terme si l’on y met une énergie conséquente) qu’au niveau international, la carrière des chercheurs et la réputation des universités dépendent largement des publications dans ces “grandes” revues. Si demain, tous les chercheurs de l’ULg cessent de publier dans ces revues, certes l’ULg remplira sans doute mieux son rôle de service public, contribuera au développement du sud et participera à la promotion d’un modèle alternatif,… mais verra en même temps sa cote internationale baisser. Et tout arbitraire et injuste que cela soit, ça ne sera pas sans conséquences très pratiques et très lourdes. »

Effectivement, c’est là un souci souvent mis en avant par les chercheurs eux-mêmes.
En fait, ce n’est qu’un mauvais moment à passer ! Plusieurs stratégies mutuellement compatibles sont en train de se mettre en place et la victoire est inéluctable. Elle n’est retardée que par un snobisme savamment entretenu qui repose sur des décennies de tradition dans le domaine de la publication scientifique. La difficulté, dans l’être pré-électronique, de mesurer l’impact réel d’un article de recherche sur la communauté scientifique a obligé les évaluateurs à emprunter un raccourci plein d’effets pervers: mesurer l’impact de la revue qui publie l’article (indice d’impact = nombre de fois que la revue est citée/nombre d’articles dans la revue). Cet indice a été inventé au départ pour permettre l’évaluation des revues et constituent toujours un outil utile pour les éditeurs. Etendre cet indice d’impact-là à un article en particulier est forcément fallacieux et ce l’est encore plus d’étendre cette évaluation à celle de l’auteur !
Une meilleure appréciation de l’impact d’un article est d’en mesurer le nombre de citations (élogieuses ou dénigrantes, peu importe, on parle ici d’impact sur la communauté scientifique). Très malaisée au début, et terriblement biaisée, comme les indices d’impact des revues d’ailleurs, par le monde anglo-saxon, cette évaluation des citations s’est vue grandement facilitée ces derniers temps par l’avènement de l’électronique. On voit donc aujourd’hui pourquoi on peut mesurer approximativement, mais de manière plus fiable néanmoins, le nombre de citations d’un article dans la littérature scientifique.
Et l’on voit aussi immédiatement pourquoi les articles publiés en OA sur internet permettent une consultation immédiate du contexte où l’article original est cité. On peut donc aujourd’hui suivre la « carrière » d’un article qu’on a publié et son influence sur la pensée scientifique, au jour le jour.
Juger l’importance de la contribution d’un chercheur est également grandement facilité par ces techniques modernes.

Un phénomène nouveau se dessine. Qu’on aime ou non, les chercheurs aujourd’hui consultent plus volontiers la littérature qui les concerne sur l’internet que dans les bibliothèques. C’est un fait de plus en plus souvent remarqué. (Et je reste, bien sûr, conscient que ce phénomène s’observe surtout dans des domaines qui concernent les sciences dites exactes et les sciences de la vie, encore qu’on commence à me le signaler en sciences humaines également, seules les Lettres étant encore ‘épargnées’). Les articles cités commencent donc à être préférentiellement ceux qui sont publiés en OA et sur le Net. Cet effet ne va faire que progresser, par un phénomène d’auto-amplification simple à comprendre. Et c’est déjà une constatation: plusieurs journaux électroniques et plus particulièrement ceux qui publient en OA apparaissent aujourd’hui dans les tables d’indices d’impact et atteignent déjà des sommets inégalés. Alors, de deux choses l’une: soit les journaux électroniques en OA vont supplanter tout le reste en atteignant des valeurs astronomiques, soit le système de mesure de l’indice d’impact va disparaître, victime de son absurdité. Il a eu son temps et son intérêt, à condition d’être pris avec beaucoup de circonspection, il va devenir aujourd’hui obsolète et ne servira plus qu’à ce pourquoi il a été conçu: la mesure de l’impact des journaux, non des articles qu’ils contiennent et encore moins des auteurs.
Cet effet est spontané, lié à une plus grande facilité qu’ont les chercheurs de se référer à des sources facilement accessibles: la paresse naturelle prévaut toujours ! Mais il peut être également volontairement induit. J’en prends pour exemple la note de Jacques Dumont que j’ai reprise parmi les commentaires de mon article précédent, « Accès Libre »: les chercheurs commencent à réagir en citant préférentiellement les articles publiés en OA, afin d’accélérer délibérément le processus de promotion de ce moyen de communication scientifique largement ouvert.

« Alors, comme vous le dites, bien sûr, un rapport de force est à construire, mais cela suffira-t-il ? Des mesures législatives ne sont-elles pas nécessaires, de façon globale, notamment pour limiter l’inflation démesurée de la propriété intellectuelle, la dérive de modèle du droit d’auteur vers une conception strictement patrimoniale des droits sur les contenus, promouvoir des exceptions pédagogiques et scientifiques, etc. »

Tout-à-fait d’accord, bien que je ne sois pas un grand adepte du « tout légiférer ». Mais on assiste aujourd’hui à un grand éveil à la notion de propriété intellectuelle au sein des universités et l’ULg s’en préoccupe beaucoup. Peut-être est-ce la raison pour laquelle elle est en queue de peloton dans la problématique de la mise sur internet des thèses et mémoires, tant que la sécurité n’est pas assurée en matière de propriété intellectuelle, précisément. Mais il est incontestable que les exceptions pédagogiques et scientifiques doivent prévaloir.

Par ailleurs, dans le même esprit — celui qui consiste pour l’université à (re)gagner son indépendance vis-à-vis des pouvoirs économiques extérieurs –, ne serait-il pas souhaitable d’envisager de migrer l’informatique des universités vers des solutions libres ?

Très juste ! Et c’est bien ce qui est en train de se produire. Nous avançons dans cette voie, avec, bien sûr, la réticence compréhensible de nos chercheurs et de tout notre personnel. Mais il est clair que les logiciels libres font de plus en plus leur chemin dans nos ordinateurs et dans nos serveurs.

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Roberto Di Cosmo signale « qu’il ne faut pas sous-estimer l’énorme problème légal qui est constitué par la cession des droits d’auteur pour les publications en cours »

Effectivement, cette cession contrainte par les éditeurs n’existe encore qu’à cause d’une vieille tradition qui remonte à l’époque où les chercheurs ont confié à des professionnels, tout d’abord au sein des sociétés savantes, ensuite aux édteurs privés, la fonction d’éditer, de publier et de vendre leurs articles scientifiques. Le nouveau paradigme de l’OA fait disparaître cette nécessité et la rend même inacceptable dorénavant.

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Stevan Harnad, dont je salue au passage le travail considérable et mondialement connu en tant que spécialiste de la documentation, me reproche de faire la part trop belle « au chemin « doré » envers le libre accès (LA) qu’est la publication dans les revues LA. Selon lui, « le chemin le plus rapide et le plus sûr envers le LA à 100% c’est le chemin « vert » — l’autoarchivage par l’auteur, dans son dépôt institutionel — de 100% des articles [2,5 millions par année] publiés dans toutes les revues [24000] (qu’elles soient LA [10%] ou non-LA [90%]). »

Voilà une proposition forte, à laquelle on ne peut qu’adhérer. Pour le moment, il me semble que nous ayions encore des contraintes en termes de droits d’auteurs auxquels nous avons explicitement renoncé, mais si la recommandation A1 de la Commission européenne est d’application, alors nous aurons un nouveau moyen de rendre l’accès à l’ensemble de la production scientifique tout à fait ouvert. C’est évidemment un « forcing » bien nécessaire si on ne veut pas attendre la conversion des 90% des revues qui ne sont pas encore en OA, ce qui pourrait encore prendre des décennies. Ceci demande de la part des universités et centres de recherche, un effort particulier, mais pourquoi pas ?

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Simon Daron rompt lui aussi une lance en faveur des logiciels libres et il se demande pourquoi « vous ne parlez pas par exemple des licences “publiques” (open content, creative commons, gpl, …).

Tout simplement parce que je ne puis ici couvrir l’entièreté de la question…!
Je vous reporte pour cela au près des spécialistes ! Mon intention n’était que d’attirer l’attention, en particulier de mon université, sur la problématique du coût des publications et de la voie de l’OA.

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Nicolas Pettiaux plaide « pour que ceci soit aussi développé plus largement dans le cadre de l’enseignement, pour développer des contenus libres de qualité (sous licences libres) » et je ne puis qu’être bien d’accord avec lui.