dim 27 juin 2010
Une université multicolore et libre de pressions
Posté par Bernard Rentier dans Enseignement/Formation7 Commentaires
J’essaie généralement de ne pas bondir sur mon blog lorsqu’un émoi médiatique implique l’ULg. En particulier, je ne le fais pas lorsque le sujet est élogieux. J’ai plus de mal à me contenir lorsqu’il est négatif. Je n’y arrive pas quand il est faux et injuste. Même si ce n’est qu’une tempête dans un verre d’eau.
Les faits objectifs
Rudy Aernoudt, coprésident du récent Parti Populaire, donne depuis trois ans, en tant que suppléant, un cours en néerlandais intitulé « Inleiding tot goed bestuur » (Introduction à la bonne gouvernance), aux étudiants de 3è Bac en Droit et de 2è Bac en Sciences politiques. Pas une seule critique de la part des étudiants en trois ans. Seule, une attaque dans la presse il y a deux ans, suite à la très médiatisée éviction de M. Aernoudt du Cabinet de la ministre Fientje Moerman et de la démission subséquente de celle-ci. J’y réponds en arguant que je pense qu’il est bon pour nos étudiants d’être confronté avec des avis aussi divers que possible, que c’est exactement cela, le pluralisme que revendique chèrement l’ULg et dont je me fais l’ardent défenseur. Le soufflé retombe.
En 2009-2010, le Département de Science politique se soumet à une évaluation communautaire AEQES et tire les conclusions de cette évaluation en mettant sur pied une réforme de ses programmes qui a été adoptée au Conseil de la Faculté de Droit et de Science politique le 5 mai, puis au Conseil d’Administration de l’ULg le 19 mai. Seules des préoccupations d’ordre pédagogique ont donc guidé ces modifications de programme. Personnellement, à ce moment, je ne réalise même pas que le cours de M. Aernoudt n’est plus au programme.
Le 24 juin, sans prévenir personne ni poser de question à quiconque, le Mouvement des Jeunes Socialistes, dont « les membres, de par leurs idées progressistes contribuent à la formation à la vie politique de leurs pairs et organisent des activités dans le but de mobiliser et de sensibiliser au maximum leurs concitoyens », sort un communiqué Belga dénonçant le fait que M. Aernoudt donne cours à l’ULg et utilise comme référence son livre, « Comment l’Etat gaspille votre argent » co-écrit avec Alain Destexhe.
Renseignement pris, je constate que le cours en question ne sera pas renouvelé, qu’il ne fera plus partie des cours donnés à la Faculté de Droit et de Science politique en 2010-2011 suite à la réforme dont je viens de parler. Je réagis immédiatement dans un communiqué et je pense naïvement calmer le jeu en disant que M. Aernoudt est maître de conférences invité, qu’il ne fait donc pas partie du corps académique de l’ULg, que son enseignement n’a jamais suscité de réaction ni de plainte de la part des étudiants, qu’il a été décidé de remplacer ce cours dès l’année académique 2010-2011, et que par conséquent, le contrat de suppléance de cours de M. Aernoudt s’achèvera au 30 septembre 2010.
Mais le débat, le buzz comme on dit aujourd’hui, s’étend et se bipolarise. Il y a:
- ceux qui pensent que telle ou telle personnalité ne devrait pas s’exprimer en milieu universitaire, sur base d’une très étonnante censure que le Recteur devrait sans doute appliquer en utilisant son propre jugement, ce qui me semble particulièrement dangereux;
- ceux qui croient que la non reconduction de M. Aernoudt est un limogeage et que celui-ci a éte « ordonné » par une autorité politique à laquelle l’ULg serait soumise et à laquelle le Recteur ne pourrait résister, ce qui me semble totalement fantaisiste.
Je répondrai donc aux tenants de ces deux extrêmes, à savoir le MJS et Rudy Aernoudt.
Aux membres du MJS
Je suis affligé par votre réaction qui ne reflète pas l’opinion des étudiants qui reçoivent ce cours. Elle me semble refléter une incompréhension de votre part vis-à-vis d’une philosophie de l’enseignement en Science politique et en Droit administratif qui expose nos étudiants à des interlocuteurs extérieurs les plus divers. S’il est bien un domaine où cela s’impose, c’est celui-là. Sachez que je souhaite, comme beaucoup, que nos étudiants bénéficient d’occasions multiples et variées d’exercer leur esprit critique et ceci, c’en était une. On aime les idées de M. Aernoudt ou on ne les aime pas. On aime les idées socialistes ou on ne les aime pas. Mais je me refuse à voir nos étudiants tenus à l’écart des réalités bien tangibles de la vie et à les maintenir dans un cocon comme s’ils étaient des nourrissons. En fait, Mesdemoiselles et Messieurs du MJS, vous me semblez vous faire une idée de l’étudiant de 2è ou de 3è bachelier bien éloignée de la réalité.
L’un d’entre eux écrivait avec beaucoup de maturité, en commentaire à un article en ligne sur ce sujet:
« Je suis un des 13 étudiants suivant le cours de Mr Aernoudt cette année. Je voudrais clarifier certaines choses: 1) ce cours est dispensé en langue néerlandaise en parallèle au cours en langue anglaise sur la bonne gouvernance européenne. Logique non? 2) le cours est supprimé car le département de sciences politiques privilégie les cours de langue suite à un souhait des étudiants. 3) A 20 ans, on est pas endoctriné, on est tous capable de faire la part des choses, on a tous une opinion que chacun défend lors des débats sur les différents sujets du livre que nous avons lors de chaque cours. 4) pourquoi ne pas dispenser ce cours en néerlandais? serait-il préférable de ne pas en parler ou de ne pas apprendre le flamand? Je voudrais terminer en vous invitant à lire son livre et à penser à nous 13 demain entre 14h et 17h30 car nous passerons successivement l’examen oral sur cette matière! »
Un organe de presse s’interrogeait: « Le cours donné par Rudy Aernoudt à l’Ulg est-il neutre? » Mais qui veut des cours neutres? L’ULg ne se dit pas neutre mais pluraliste, c’est très différent. Elle n’est pas incolore, elle est multicolore! C’est la spécificité qu’elle veut affirmer.
Sachez que notre université accueille comme maîtres de conférences des personnalités de tous bords et de tous les partis. Vous les retrouverez assez simplement en consultant les programmes de cours de l’ULg, elles sont nombreuses. Elles sont choisies pour l’expérience qu’elles peuvent communiquer à nos étudiants indépendamment de leurs convictions ou de leurs engagements. Priver nos étudiants de cette richesse équivaudrait à demander à la presse de ne pas donner la parole à tel ou tel parti, à telle ou telle personne. Il n’y a pas qu’elle qui doit se voir garantir la liberté d’expression dans un pays démocratique, les universités y ont droit aussi.
Bien sûr, ces invitations sont, par essence, temporaires et les facultés doivent pouvoir les arrêter quand elles le souhaitent. C’est encore mieux si elles le font dans les formes. Mais elles doivent aussi résister à des pressions extérieures, que celles-ci soient guidées politiquement ou philosophiquement, et garder le cap qu’elles se sont donné collégialement et démocratiquement.
A Rudy Aernoudt
Je regrette la manière dont les choses se sont passées. Vous auriez dû recevoir l’information de la non-reconduction de votre cours l’année prochaine beaucoup plus tôt, puisque l’adoption, par le Conseil d’Administration de l’ULg, du nouveau programme de cours date du 19 mai. On peut même penser que vous auriez dû en être averti plus tôt encore. Et c’était bien le ou les Départements concernés qui auraient dû vous en parler. J’accepte donc toutes les critiques sur ce manque de délicatesse.
Par contre, je trouve votre réaction, si j’en comprends la colère, déplacée parce qu’inexacte et là, votre rigueur scientifique m’inquiète.
On vous prête beaucoup de qualités. Je les ai moi-même appréciées lorsque vous étiez chef de Cabinet d’un ministre régional wallon, M. Kubla. On vous trouve également de gros défauts, en particulier celui d’être populiste, simplificateur, voire poujadiste. Et c’est bien ce défaut qu’on retrouve dans votre réaction de ces derniers jours. Le poujadisme est essentiellement basé (et c’est ce qui fait son relatif succès auprès des personnes mal informées) sur la création artificielle et volontaire d’un lien de cause à effet entre des faits qui n’en ont aucun. Dans ce cas-ci, vous clamez sur tous les toits que vous avez été « viré » parce que vous n’êtes pas socialiste. Vous dites l’avoir été par un recteur qui est inféodé aux politiques qui le tiennent par l’argent. Vous affirmez perfidement que je n’en peux rien, qu’il faut bien comprendre qu’en Wallonie, c’est comme ça, et que ma marge de manœuvre en cette matière est réduite. Ces divers dérapages indiquent que, malgré votre expérience de la gouvernance publique, vous méconnaissez considérablement le fonctionnement des universités en général et celui des universités publiques en particulier. Sachez que, si je suis à l’écoute de mes étudiants et de leurs avis, je ne suis pas homme à me laisser dicter des consignes par qui que ce soit, et certainement pas par les membres d’un quelconque groupement idéologique. Il ne s’agit donc en aucun cas d’une éviction suite à des pressions. Sachez aussi que l’idée que je puisse, en quelques minutes, décider de mettre fin à un contrat de suppléance est impossible puisque je n’en ai tout simplement pas le droit et qu’une procédure rigoureuse exige le passage en Conseil de Département, puis en Conseil de Faculté, puis en Conseil d’Administration. Lourd, mais bien sécurisé. En Wallonie! Ca vous étonne?
Par ailleurs, je tiens par dessus tout au pluralisme de mon Institution. Je ne puis que déplorer les approximations et inexactitudes, voire l’absence de recoupement d’information de la part de certains médias, ainsi que l’opportunisme de ceux qui en profitent pour faire parler d’eux et pour se poser en martyrs.
A la Communauté universitaire, éventuellement émue par ce débat…
On peut en effet s’émouvoir de cette soudaine agitation et, si on ne détient pas tous les éléments objectifs du problème, on peut facilement croire ce qu’on lit et ce qu’on entend, en tirer des conclusions hâtives et se forger une opinion biaisée. C’est pourquoi j’ai voulu intervenir rapidement, au vu de la tournure que prennent les choses. En effet, au delà des médias professionnels et des commentaires de lecteurs, le buzz s’est propagé dans les blogs et dans les forums et, ce matin, je découvrais même une pétition pour la restauration du cours de Rudy Aernoudt à l’ULg!
J’espère que le calme va revenir, que chacun reprendra ses esprits et que l’incident sera clos. Toute personne un peu sensée ne peut qu’en convenir, me semble-t-il.
Commentaire de François Thoreau sur Medium4you.be
Commentaire de Bernard Rentier, le 29 juin 2010 à 8:26Je ne partage pas du tout les idées de Rudy Aernoudt et serais consterné si j’obtenais la preuve du prosélytisme deployé dans le cadre de ses activités d’enseignant (encore qu’il conviendrait de s’interroger sur la fiction selon laquelle un cours peut être idéologiquement « neutre » ainsi que sur le caractère central ou périphérique de ladite « référence » en se penchant sur la fiche d’engagement pédagogique du cours incriminé). Il est sain et rassurant que cette affaire fasse l’objet d’un débat public et il est légitime que différentes instances de l’Université de Liège (associations d’étudiants, départements et facultés concernées, autorités académiques, …) s’en préoccupent au cas par cas. Cela dit, je suis stupéfait par l’intervention du Mouvement des Jeunes Socialistes qui demande à l’ULg de prendre « des mesures … afin de garantir un enseignement neutre de qualité ». On passe là du particulier au général et on donne par la même occasion aux extrémistes de tous bords le bâton pour battre les services publics. Ce genre d’exigence fait clairement le jeu du néolibéralisme ambiant en matière d’enseignement et d’évaluation de la recherche, un système contre lequel la gauche s’insurge souvent et à juste titre … sans parler de la liberté académique, souvent mal comprise et parfois mal ressentie par les citoyens les pouvoirs publics, mais qui constitue quoi qu’on en dise un des derniers remparts contre la censure et la manipulation politico-politicienne. Soyons vigilants, cultivons le dialogue critique, tâchons de garantir les principes de base de la déontologie et insurgeons nous à souhait quand le besoin s’en fait sentir mais, par pitié, évitons de menacer davantage les libertés individuelles et l’accès non dirigé au savoir.
Commentaire de Michel Delville, le 29 juin 2010 à 23:38Un peu léger comme explication… Ce que je constate surtout, c’est qu’il n’est pas facile d’être libéral dans le monde académique belge francophone.
Commentaire de Nelson Kiwaki, le 2 juil 2010 à 18:45Désolé, impossible de donner une explication plus « lourde ».
Commentaire de Bernard Rentier, le 2 juil 2010 à 21:16J’ai juste énoncé le strict déroulement des faits.
Je n’y peux rien s’ils ne correspondent pas à vos préjugés.
Avec tous mes respects pour le recteur, avec qui je partage entre autre l’amour pour les spin-offs, ses déclarations dans son blog ne corresponds pas à ce qu’il a dit toute de suite en réaction du MJS en suggérant qu’il a pris des mesures.
Commentaire de rudy aernoudt, le 2 juil 2010 à 22:07En plus, est-ce normal que j’apprends la suppression de mes cours par la RTBF radio? Ou s’agit-il d’une nouvelle procédure d’annoncement des licenciements approuvée par les syndicats.
Bref, mon appel au recteur: organisons un débat au début de l’année académique avec les étudiants.
Bien à toi
Rudy
Cher Rudi Aernoudt,
Je regrette, mais je n’ai jamais dit que je prenais des mesures, j’ai dit que le cours était supprimé et c’était le cas depuis un mois. Je n’ai donc pas pris la moindre mesure sous l’influence du MJS, je l’affirme haut et clair. En fait, je n’ai pris aucune mesure à ce moment, le C.A. les avait prises un mois plus tôt et cela n’avait rien à voir avec la politique.
J’ai aussi dit dans le blog qu’il n’était pas normal de ne pas encore avoir été averti du non-renouvellement du contrat un mois après la décision du C.A., c’est bien vrai et le Département a exprimé ses regrets à cet égard. Là, j’accepte toutes les critiques. Il est tout à fait anormal d’apprendre cela par la presse.
Il ne s’agit pas du tout d’un licenciement. Les suppléances font l’objet de contrats d’un an, du 1er octobre au 30 septembre, renouvelables année par année. Il va de soi que si ils ne sont pas renouvelés, ça s’arrête là. Bien sûr, ça ne dispense pas l’université de prévenir le suppléant, je le reconnais encore une fois.
Je suis toujours en faveur des débats et j’aurai le plaisir de t’accueillir, nous tâcherons de donner à ce débat un tour contradictoire, plein d’enseignements pour nos étudiants.
Commentaire de Bernard Rentier, le 2 juil 2010 à 22:38cher Bernard, cher Rudy,
je viens de lire avec intérêt vos échanges
je me réjouis d’assister à votre débat en espérant qu’il sera respectueux, fair play et sans jugement(poujadiste par exemple)et ouvert à tous (je suis grand père détudiants et je me sens concerné)
belle et fructueuse rentrée à tous!
cordialement Didier
Commentaire de Didier Legros, le 26 août 2010 à 8:27