jeu 3 déc 2009
Monsieur le Recteur,
Peut-on connaitre la raison qui a fait que ce soit par le Spiegel qu’on ait appris ce qu’on peut appeler « l’aventure Rom Houben » qui a mis l’ULg au premier plan avec Coma Science Group et le docteur Steven Laureys?
Pourquoi l’ULg elle-même n’a-t-elle pas fait cette communication ? Il y avait là une magnifique occasion d’en montrer toute la qualité en matière de recherche.
Je vous remercie de l’attention que vous porterez à ma question et de la réponse que vous voudrez bien lui donner.
Je ne suis pas universitaire mais liégeois…
Xavier Jeangette
Liège
—————————————
Cher Monsieur,
Merci pour cette question judicieuse qui concerne un évènement médiatique sans précédent dans l’histoire de notre Institution, portant sur la découverte d’un état de conscience insoupçonné chez un patient déclaré en état végétatif depuis plus de 20 ans.
En réalité, la toute première raison pour l’apparente discrétion que vous relevez est que ni l’ULg, ni le CHU, n’ont souhaité communiquer trop tôt cette information, par souci du respect tant du secret médical que de la famille et des proches du patient. Ensuite, dans ce genre de circonstance, il est indispensable, en raison de l’effet que peut provoquer une telle information, de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un phénomène temporaire, et une multitude d’observations sont nécessaires avant de pouvoir en faire un communiqué de presse.
Toutefois, les travaux de Steven Laureys et de son équipe ont été abondamment salués et reconnus dans le monde scientifique depuis des années. Ils ont d’ailleurs fait l’objet d’un article en septembre dernier dans notre revue de vulgarisation scientifique « Reflexions », l’ULg ayant pleinement conscience de l’importance de ces travaux étonnants.
En juillet dernier, les informations sur l’évolution du désormais célèbre Rom Houben, le fait extraordinaire qu’il ait appris à communiquer du fond de son « coma » et même d’entreprendre l’écriture d’un livre, le désir de ses proches de divulguer ces informations de manière large et l’assentiment du patient lui-même d’être porteur d’un témoignage sur le locked-in syndrome, ont conduit l’ULg et le CHU à révéler le « cas Rom Houben » à la presse. Sans effet…
Si ce n’est Der Spiegel qui a immédiatement saisi l’impact potentiel d’une telle découverte sur le plan médiatique, portant en elle la réminiscence du film bouleversant de Penny Marshall avec Robert De Niro et surtout Robin Williams: Awakenings (en français: « L’Eveil »). Les implications de cette révélation en matière de bioéthique apparurent immédiatement. Les mois qui suivirent furent nécessaires à une préparation physique et mentale du patient, de sa famille et de ses proches et, seulement lorsque toutes les conditions requises furent réunies, le Spiegel sortit l’information avec l’impact que l’on sait.
On peut donc tirer plusieurs leçons de cette histoire, même si je ne m’étends pas sur les aspects médicaux et éthiques, largement traités par ailleurs, et que je me focalise ici uniquement sur l’aspect médiatique.
1. L’ULg a cessé d’être inutilement discrète sur les trouvailles de ses chercheurs, elle essaie au contraire de les médiatiser au maximum. L’équipe de communication a été renforcée et restructurée, avec un impact sur notre présence dans les media parfaitement mesurable. C’est également une des utilités du magazine en ligne « Reflexions »: faire connaître la science (au sens le plus large) liégeoise au monde entier (« Reflexions » est diffusé également en version anglaise), une production lourde et complexe, entièrement au service de la recherche de l’ULg et du CHU. « Reflexions » attirait déjà l’attention travaux du Coma Group en novembre 2008 avec un très bel article intitulé « La Consience emmurée » et consacré précisément à ce même sujet. Le cas d’une patiente capable, dans son coma, de reproduire des images mentales de ce dont on lui parle (déambuler dans sa maison, jouer au tennis) y était déjà décrit et expliqué, sans que cela ait déclenché un ouragan médiatique comme cette fois-ci.
2. Si l’on veut bien me pardonner cette comparaison de mauvais goût, je dirais que malgré ses efforts de communication, l’ULg reste locked in, emmurée, dans le statut provincial que lui impose aujourd’hui la presse. La quasi absence de rédactions des journaux écrits, parlés ou télévisés appauvrit considérablement notre capacité de transmettre des messages d’intérêt général et confine neuf fois sur dix les scoops à une diffusion strictement locale. Ce n’est que rarement, lorsque l’information est, par chance, décodée et considérée comme suffisamment porteuse, que les pages « nationales » s’ouvrent. Cet emmurement, contre lequel beaucoup de liégeois se sont très justement et très souvent élevés, constitue un handicap qui fait que la presse ne rend que trop rarement justice aux talents liégeois, quels qu’ils soient.
3. Que l’information sur Rom Houben, Steve Laureys et le Coma Group doive son succès médiatique en raz-de-marée mondial à un grand journal allemand n’est pas du tout un camouflet imposé à la communication de l’ULg. Sans elle, le Spiegel n’en aurait jamais rien su! Mais c’en est un pour la presse belge qui n’a pas saisi l’importance de l’évènement et n’a pu que monter dans le train des grandes rédactions de la planète entière qui se sont donné rendez-vous au Cyclotron de l’ULg la semaine dernière. Mais soyons beau joueur: la reconnaissance n’est-elle pas plus grande encore comme cela…?
Cher Monsieur le Recteur,
Je partage en tous points votre analyse, sauf le dernier paragraphe. Dire que l’information du Spiegel est un camouflet pour la presse belge est oublié un peu vite que l’hebdomadaire allemand Der Spiegel vend un million d’exemplaires chaque semaine et qu’il dispose d’une armée de journalistes d’investigation, inégalée dans la presse belge. Le journaliste auteur de l’article a mis plusieurs mois pour boucler son enquête qui l’a mené de Berlin à Liège et à Zolder.
Un luxe impossible pour la presse belge.
Si cette information est devenue planétaire, c’est parce qu’elle alliait à la fois une splendide découverte médicale, mais aussi un témoignage humain poignant. La communication faite sur le sujet par l’ULG ne fut « que » médicale. C’était insuffisant pour boulverser l’opinion publique mondiale.
Alors, je pense qu’il ne faut pas reprocher à la presse belge ce que vous déplorez vous-même pour votre université: son manque de moyens. Entraidons-nous en nous facilitant la tâche plutôt qu’en fustigeant les manquements de l’autre.
je suis certain qu’il y a d’autres « Rom Houben » ou équivalents, aujourd’hui, au sein des murs de notre université. Faites-les nous connaître, en n’oubliant pas qu’au-delà de votre savoir et de votre savoir-faire, il y a le « faire savoir » qui est aussi important.
La presse belge reste à votre disposition.
Bien à vous,
Luc Gochel
Commentaire de Luc GOCHEL, le 3 déc 2009 à 20:02Chef d’édition de La Meuse Liège
Merci, Monsieur Gochel, pour ce commentaire.
Je vous donne raison, en partie. Mais je reviens un instant sur mon premier billet pour dissiper un malentendu que mon texte pourrait créer, en raison d’une erreur factuelle de ma part.
Contrairement à ce que mon texte affirme, l’ULg n’a jamais communiqué sur le cas particulier d’un patient, ni Rom Houben ni aucun autre, mais son communiqué de presse du 22 juillet concernait les résultats étonnants et interpellants du Coma Science Group de l’ULg quant aux erreurs de diagnostic fréquentes (de l’ordre de 40%) chez des patients considérés, à tort donc, comme étant en « état végétatif ». Cette étude portait sur un grand nombre de patients et aucun d’eux n’était mis en évidence, c’est là la déontologie élémentaire de nos services de communication.
C’est ce communiqué, repris au creux de l’été par un certain nombre de médias en Belgique et dans le monde, qui a suscité l’intérêt du Spiegel. Celui-ci a interviewé le Dr. Steven Laureys et lui a demandé de pouvoir « illustrer » cette grave problématique avec un cas concret, avec l’accord du patient et de son entourage, bien entendu. Tout journaliste pouvait en faire autant. L’article n’a été publié qu’en novembre dans le célèbre magazine allemand et donc, jusqu’au fameux lundi où le « buzz » s’est amplifié, personne dans les services de communication du CHU et de l’ULg ne connaissait le nom de Rom Houben. Ce n’est qu’à leur grande surprise qu’ils ont dû affronter ensuite un véritable tsunami médiatique sans précédent, mais non prémédité.
Commentaire de Bernard Rentier, le 4 déc 2009 à 16:00Steven Laureys fait beaucoup (trop ?) parler de lui dans la presse. N’est-ce pas suspect dans le monde scientifique ?
Commentaire de Pierre Franco, le 4 déc 2009 à 16:48Pas du tout. Si vous lisez ce que j’ai écrit ci-dessus, vous comprendrez que Steven Laureys et son équipe (il ne faut pas les oublier: le professeur G. Moonen, les docteurs Mélanie Boly et Caroline Schnackers ainsi que tous les membres du Coma Science Group de l’ULg-CHU) n’ont, en bons scientifiques, divulgué les résultats de leurs travaux que dans des journaux médicaux spécialisés. Votre question, aux antipodes de celle de Luc Gochel plus haut, marque bien le dilemme: si on reste réservé et qu’on ne s’adresse qu’à ses confrères, on est critiqué pour excès de modestie et pour incapacité de « se vendre ». Si on est salué par les media du monde entier, on est critiqué pour trop faire parler de soi et on suscite des jalousies. Le rôle de nos services de communication n’est donc pas simple.
Commentaire de Bernard Rentier, le 5 déc 2009 à 13:06Personnellement, je pense que lorsqu’une information d’intérêt général émane des travaux d’un de nos chercheurs ou d’une de nos équipes de recherche, elle doit être rendue publique, le plus largement possible. Et les chercheurs eux-mêmes ne peuvent être blâmés pour cette médiatisation.
Malheureusement,la méthode de communication utilisée auprès de Mr Houben ressemble beaucoup à la méthode dite « communication facilitée » ,dénoncée comme une imposture ,voir par exemple le site http://www.sceptiques.qc.ca/dictionnaire/facilcom.html
Commentaire de Laurent Jézéquel, le 14 jan 2010 à 15:05