jeu 26 mar 2009
Discours d’accueil de la séance de remise des insignes de docteur honoris causa de l’ULg ce 26 mars 2009
La longue tradition des doctorats honoris causa se perpétue aujourd’hui, comme chaque année. C’est le moment où l’Université marque une pause dans la vie trépidante qui lui est trop lourdement imposée. Elle s’arrête quelques instants de courir après les contrats, les conventions, les financements, les crédits, les subventions. Elle s’arrête quelques instants de courir pour attirer plus d’étudiants, puis pour arriver à les encadrer efficacement, pour améliorer ses méthodes pédagogiques, pour faire vivre son campus et l’animer, pour trouver de l’espace en ville et l’aménager, pour résoudre ses problèmes asphyxiants de mobilité. Elle s’arrête quelques instants de courir pour produire des publications, pour être présente dans le reste du monde, rivaliser ou coopérer avec ses sœurs universités voisines et lointaines. Elle s’arrête quelques instants de courir pour valoriser ses recherches, prendre des brevets, concéder des licences, créer des spin-offs. Elle s’arrête quelques instants de courir en essayant de comprendre le paysage de l’enseignement supérieur dont elle fait partie dans sa région, sa communauté, l’Europe et le vaste monde, comme on essaie de comprendre sa planète, son système solaire et sa galaxie, voire ce qui existe au delà, jusqu’au grand commencement, en se demandant ce que celà même veut dire…
Elle s’arrête quelques instants de courir et se pose une vraie bonne question: «pour quoi faire?».
Et la meilleure réponse lui vient des autres, de ceux-là qui nous donnent au moins l’illusion que là où ils travaillent, les choses sont différentes. Ce n’est qu’une illusion, bien sûr, la vie est trépidante partout, mais lorsqu’on se penche sur la beauté de l’œuvre de nos collègues lointains, il n’y paraît pas. C’est certainement l’impression qu’ils ont, eux aussi, à notre égard, et c’est une partie importante du caractère fondamental de la cérémonie d’aujourd’hui: le regard vers les autres, dans un moment de calme et de sérénité.
En effet, le chercheur, comme l’artisan — et sans doute comme tout le monde — a besoin de maîtres, d’exemples et de repères. Il a besoin de personnalités qui lui servent de référence, de balise, de guide d’une certaine façon. Il est facile de se considérer soi-même comme excellent, mais il faut savoir se confronter à deux mesures essentielles : le jugement par ses pairs et la recherche de l’exemple. La première, on l’affronte lorsqu’on décide de publier ses travaux, la seconde, lorsqu’on s’inspire de ceux des autres. Et de cette deuxième mesure naît quelquefois l’admiration, celle-là même qui se traduit un jour par le bonheur d’inviter son modèle et de le faire adopter comme un des siens par sa communauté académique tout entière, puisque le corps académique nomme les docteurs honoris causa à l’exigeante majorité des 2/3. L’acceptation par le lauréat est, elle aussi, une épreuve à franchir, puisqu’elle implique qu’il accepte de faire désormais partie de l’université qui l’accueille et d’en devenir membre d’honneur.
Décerner ainsi ce diplôme à une personnalité de grand calibre consiste à l’honorer, c’est évident, et c’est ce que nos docteurs honoris causa ne manquent jamais de nous dire, mais nous devons avant tout retenir que ce sont eux qui nous honorent et que nous en tirons fierté.
C’est pourquoi je me réjouis aujourd’hui d’accueillir nos hôtes et je demanderai, dans quelques instants, à leurs «parrains» liégeois de les présenter et donc de tenter l’impossible : expliquer, en quelques mots et de manière compréhensible pour tous, les qualités et les accomplissements de nos lauréats de ce jour.
« Pour quoi faire », en effet ? Question de bon sens, trop évidente peut-être, trop modeste aussi et trop exigeante en matière de distance critique nécessaire pour bien la poser. Question indispensable cependant si l’université veut échapper tant aux récupérations idéologiques qu’aux recettes simplificatrices censées lui assurer une évolution politiquement et économiquement correcte.
A contre-courant du discours dominant, Michel Freitag écrivait en 1995 : [...] je soutiendrai qu’on ne peut pas juger des problèmes qu’affronte l’université, ni du sens de son développement, sans juger aussi du sens dans lequel la société se trouve engagée dans ses changements contemporains. En effet, une des tâches majeures de l’université est précisément d’être le lieu dans lequel peuvent être élaborées les conditions d’un tel jugement de valeur sur les finalités de la société, et ceci dans la mesure où elle y représente l’instance institutionnelle privilégiée — et sans doute unique — dans laquelle le développement et la transmission des connaissances et des savoir-faire particuliers peuvent encore être orientés par une réflexion qui reste engagée dans la recherche d’une vue d’ensemble critique à caractère toujours dynamique. Et cette critique ne peut pas être séparée d’une réflexion sur ce qu’est une société acceptable, une « bonne » société ». (in Le naufrage de l’Université et autres essais d’épistémologie politique).
De ce point de vue, l’appel au débat interne sur un projet institutionnel motivé par une réflexion d’ensemble sur les relations entre recherche et enseignement, est une opportunité dont on peut s’étonner qu’elle ne mobilise pas davantage la communauté universitaire.
Jean-François Bachelet, sur le blog interne
Commentaire de Bernard Rentier, le 28 mar 2009 à 17:15J’ai rarement vu un blog aussi lourd.
Commentaire de Robin, le 7 avr 2009 à 9:48