D’habitude, je n’utilise pas ces colonnes pour y débattre de sujets politiques, ni belges, ni internationaux. Les seules exceptions que je m’octroie ont trait à des circonstances particulières, lorsque notre université est , d’une certaine manière, liée aux événements ou lorsqu’elle ne peut rester sans réaction devant des questions universelles. Aujourd’hui, nous faisons clairement face à une situation qui combine ces deux aspects.

A titre individuel, comme citoyen du monde, comment peut-on rester sans rien faire face à ce qui se passe en Israël du Sud et dans la Bande de Gaza ? Chacun choisira ce qu’il veut faire. Mais en tant qu’université, pouvons-nous en rester là ? Beaucoup d’universitaires se sont mobilisés lorsque les universités palestiniennes ont dû être fermées il y a quelques mois à cause du blocus, mais aujourd’hui, une étape bien pire encore est franchie et dépasse de loin le sort des universités.

La situation est particulièrement inextricable. La presse internationale en parle tous les jours, les universités locales lancent des appels au boycott des universités du camp adverse. Des universitaires diffusent des pétitions. L’éditorial du Vif cette semaine est une fort bonne analyse de cette situation « loose-loose »: quoi qu’il arrive, tout le monde a perdu. L’éditorial de Jean Daniel, dans le Nouvel Observateur est également remarquable d’objectivité quand il écrit: « je m’alarme à l’idée que l’on puisse justifier et, en somme, banaliser le risque de «bavures» et de «dommages collatéraux» dans des opérations où chacun sait qu’il va tuer les enfants de l’autre. Cette banalisation de la sanction aveugle, au nom d’une conception de la responsabilité collective, me paraît une honteuse régression ». Si la violence finit par mettre fin à cet épisode dramatique, chacun sait que le problème ne sera pas résolu. chaque jour de violence garantit des années de haine.

Prendre parti est hors de question, en tout cas en tant qu’institution publique. Seul l’appel au calme et à la paix aurait du sens. Mais comment diable pourrions-nous être entendus le moins du monde par ces gens qui sont désespérés soit par soixante ans de domination injuste, soit par soixante ans d’insécurité permanente…?

Je trouve lamentable que, dans un tel marasme humain, nous soyons, en tant qu’universitaires, tellement impuissants et que nous choisissions de rester silencieux — hormis l’initiative que nous avons prise conjointement avec le CHU d’accueillir des enfants victimes des combats et auxquels la Belgique a décidé de porter secours. Je me dis qu’un vibrant appel au calme et au respect des populations civiles de part et d’autre pourrait quand même émaner de nos universités. Difficile toutefois de ne pas paraître ridicule.

Il me semble cependant qu’on ne peut intervenir que si on dispose d’un lien particulier, ce qui est le cas pour nous avec Shimon Peres, docteur honoris causa de l’ULg en 1998, mais Yasser Arafat qui fut reçu en même temps, n’est plus en face pour maintenir l’équilibre. Ils furent honorés pour la chance qu’ils représentaient, de voir se dessiner une solution, improbable certes, mais pas complètement impossible, pensait-on à l’époque. On en est loin. Rappeler à Shimon Peres, aujourd’hui Président de l’Etat d’Israël — un rôle purement protocolaire — les paroles prononcées à notre tribune il y a dix ans, n’aurait guère de sens et serait fort présomptueux.

Ou alors, l’on doit disposer d’un argument particulier, typiquement universitaire, un argument original, une idée qui justifie une sortie du bois et de l’atonie, en entraînant avec soi les autres universités, et cet argument-là, je ne le trouve pas…

A défaut d’argument, on peut au moins proposer des actions. La plus évidente pour nous est sûrement celle qui, en interuniversitaire, organiserait une offre de formation aux étudiants qui, dans ce conflit, se voient privés d’université. Ceci demande un accord entre les universités belges et un soutien gouvernemental tant au niveau communautaire que fédéral, ainsi que des interlocuteurs sur place, à commencer par les universités avec lesquelles nous sommes en relation depuis longtemps déjà. Et ainsi nous dépasserions les vaines déclarations qui peuvent nous donner bonne conscience mais ne font rien avancer, en posant un acte universitaire et de portée universelle.