Tous les deux ans revient la saison des promotions dans le corps enseignant. Entre St Nicolas et Noël, cela fait un peu distribution de cadeaux. C’est ainsi que ce mercredi, le Conseil d’administration de l’ULg est descendu dans quelques cheminées professorales.

Mais la comparaison s’arrête très vite là. Contrairement au grand Saint ou au petit Papa, le C.A. ne peut pas essayer de faire plaisir à tout le monde. Il ne peut même pas, et c’est plus grave et plus frustrant, récompenser les méritants. En effet, face à de nombreuses candidatures (plus de deux cents), il ne peut en accorder « que » 24 comme professeur ordinaire, 32 comme professeur et 4 comme professeur à temps partiel. Soit un petit 30% des demandes dont plus de 90% sont parfaitement fondées.

L’analyse des mérites est confiée à une commission facultaire qui classe les candidats et motive son classement. Les classements facultaires sont ensuite juxtaposés par une commission présidée par le recteur et composée des doyens ainsi que de représentants du personnel scientifique, qui est amenée à proposer au C.A. un nombre limité de promotions par grade (PO, P, Ptp) et par Faculté, sans toutefois modifier l’ordre de la liste et en respectant non seulement les mérites des uns et des autres, mais également les proportions facultaires. En effet, aucune de ces entités ne peut se retrouver déficitaire dans un quelconque de ces grades.

Gymnastique difficile, donc ? Non. Mission impossible.
Tout le monde sait aujourd’hui ce que je pense des classements, surtout lorsqu’il s’agit de classer des pommes et des poires et que le classement doit reposer sur la comparaison de nombreux critères très différents. Et c’est exactement le cas ici.

En pareille saison, je reçois évidemment des lettres de remerciement, comme s’il s’agissait d’une décision personnelle et non pas collective, — mais c’est ainsi que je les interprète: elles sont, sciemment ou non, adressées à la collectivité que je représente.
Mais je reçois aussi, et surtout, des lettres qui expriment une grande déception, un profond découragement et une immense incompréhension.

On voit donc les limites d’un système qui vise à récompenser et à encourager en reconnaissant des mérites, mais qui tombe trop court en créant au contraire, dans la grande majorité des cas, des désillusions, voire une démobilisation. Pire: la sensation très nette que la non-promotion serait un message clair des Autorités qui sanctionnerait un travail mal fait ou une implication insuffisante dans la vie universitaire, bref, qui refléterait une volonté délibérée de ne pas reconnaître le dévouement à l’Institution et la passion du métier. Ce que j’en dis ici à propos du corps académique est également vrai des autres corps, scientifique, administratif, technique et ouvrier.

Les promotions sont toujours injustes parce que trop peu nombreuses. Evidemment, nous prenons la responsabilité de nos choix, mais les différentes étapes du processus limitent considérablement le champ de décision du Conseil, et même celui de la commission rectorale. C’est sans doute mieux ainsi, car cela laisse une large autonomie à ceux qui s’expriment les premiers: les membres des commissions facultaires, plus proches des gens et mieux à même de juger, mais malheureusement aussi trop proches, donc souvent partiaux ou manifestant une compréhension variable du poids des critères. Le respect absolu de l’ordre du classement des commissions facultaires amène donc à la disparition d’un degré important de liberté dans la décision finale, il verrouille largement le système d’emblée. La commission rectorale n’a pour seule latitude que de limiter le nombre de candidats retenus dans chaque groupe en fonction des disponibilités. Certes, le C.A. vote nominativement pour chacun des individus et n’est pas obligé de se conformer aux propositions de la commission rectorale, mais la pratique nous montre que ce n’est jamais le cas.

S’il est tentant de vouloir réformer le processus de décision en matière de promotions, c’est risqué. Lui laisser un caractère démocratique est essentiel, mais comme toujours dans les processus démocratiques, il convient de savoir se pencher sur des traditions et éventuellement les remettre en cause, tout en ne les réformant qu’avec sagesse et après mûre réflexion.

Dans le nouveau mode de fonctionnement de l’Université que je préconise, le processus de consultation de base ne serait pas supprimé, il serait simplement subdivisé en deux organes chargés d’estimer les trois missions. Cette réforme élargit donc le mode d’évaluation dès le début et définit mieux l’appréciation qui est faite de chacun des critères. Les commissions mixtes seront ainsi amenées à juger des mérites scientifiques d’une part, des mérites et charges pédagogiques d’autre part et, ensemble, des services rendus à la communauté. Loin de proposer que le niveau où se fait l’examen des mérites remonte vers des caucus plus restreints, la nouvelle organisation permettra d’élargir l’évaluation par les pairs à la base même du processus.

Je suis conscient du fait qu’aucun système n’enlèvera jamais le caractère largement subjectif du choix des promotions, ni n’établira une vraie justice qui n’existe sans doute pas, quoi qu’on fasse. Tant que la pyramide existera — mais faut-il en contester le principe? je ne pense pas — il y aura des déçus. Une majorité de déçus. Espérons seulement que l’effet pervers de ces déceptions, la démobilisation, ne nuise pas au bon fonctionnement de l’Institution, quoi qu’il arrive.

Parallèlement aux promotions, il faut trouver d’autres moyens de témoigner à nos collègues méritants la reconnaissance de l’Institution pour leurs efforts et leurs sacrifices. C’est cela le message qui doit passer et que ne peuvent occulter les promotions. Facile à dire, M. le Recteur…