lun 26 nov 2007
Ce message m’est parvenu vendredi. Comme il ne constitue pas réellement un commentaire à un de mes billets, mais qu’il lance une réflexion extrêmement intéressante et qui me tient à cœur, j’en fais plutôt un nouveau billet et je tâche d’y répondre au mieux.
« Monsieur le Recteur,
Il y a quelques jours dans les médias flamands s’ouvrait un débat sur le manque d’initiative des étudiants flamands, notamment en terme de création d’entreprises. Ce même constat peut être fait dans le monde francophone.
Un professeur émérite de la KUL (Roger Blanpain) vient de réagir aujourd’hui par la publication d’un courrier de lecteur à la rédaction du « Standaard », dont je vous livre ici la traduction:
« Le manque d’initiative chez les étudiants tient beaucoup à la nature de notre enseignement et de notre formation. Quelques 50 ans d’expérience universitaire comme enseignant m’a appris que notre enseignement est orienté vers le conformisme (le prof a raison), la prise de note, des cours bloqués par coeur et débités de la même manière à l’examen. L’enseignement et la formation est peu ou pas du tout dirigée vers la créativité, la contribution personnelle, l’esprit critique, la résolution de problème ou la réflexion transversale, comme dans les bonnes universités américaines ou anglaises. Cela demandera une révolution de changer cet enseignement répétitif. Comme doyen de la faculté de droit de la KUL, j’ai consacré à l’époque mon attention aux exercices par petits groupes, la mise en place de séminaires et l’organisation de sessions pratiques. C’était largement insuffisant, car il existait trop de cours ex-cathedra. Pour devenir prof, un nombre d’heure d’enseignement doivent être prestées. De ce fait, beaucoup d’heures de cours sont imposées. Le travail personnel et la créativité sont rarement au rendez-vous. De plus, les séminaires et les exercices sont souvent délégués à de jeunes assistants dévoués mais souvent inexpérimentés, qui ne connaitront la musique que bien plus tard.
En bref, le manque d’initiative de nos étudiants ne m’étonne pas. Nous pouvons y faire quelque chose. Diminuer drastiquement le nombre de cours académiques et beaucoup plus stimuler le travail personnel axé sur la créativité. »
Etant l’un des premiers boursiers Erasmus de la faculté de Philosophie et Lettres (section Philosophie), je ne peux que confirmer cette analyse. A l’université de Hull, où j’ai séjourné un an en 1992, je peux témoigner que plus de la moitié des cours consistaient en travaux de lecture dirigés par petits groupes, où le rôle du professeur consistait plus à animer le débat et la réflexion entre les étudiants, qui chacun à leur tour devait préparer la leçon et se soumettaient ainsi à la critique de leurs professeurs mais aussi de leurs condisciples. Chaque étudiant était placé sous la protection d’un « tuteur », qui le conseillait de plus quant à ses lectures, quant aux choix de cours à option en fonction du désir profond de l’étudiant. Le mien était le Dr T.S. Champlin, dont le moindre mérite n’était pas de diriger le comité de lecture de la prestigieuse revue Mind. J’en garde encore aujourd’hui un souvenir ébloui.
L’organisation des examens était également très différente puisqu’ils consistaient en des dissertations sur des thèmes abordés dans ces cours et qui pour éviter tout favoritisme, étaient corrigés à l’aveugle par des professeurs externes.
A l’appui encore de ce constat, j’aimerais ajouter que mes deux parents se sont rencontrés et mariés au cours de leur spécialisation médicale à l’université Johns Hopkins de Baltimore dans les années 60. Ma maman y a même exercé des responsabilités importantes au sein de la faculté et participé à des recherches déterminantes en anesthésiologie (son professeur, le docteur Safra a inventé la réanimation cardio-pulmonaire et l’aide médicalisée urgente). Tous deux partagent cette analyse et particulièrement mon père, qui était diplomé en médecine de l’ULG et qui a donc expérimenté comme moi les deux méthodes de travail.
Bien plus que le ranking de l’ULG ou son système de classement des contributions scientifiques, l’ULG devrait prioritairement s’intéresser à sa méthode de travail et d’enseignement.
Très respectueusement,
Philip Hermann
PS: Je vous félicite, par ailleurs, pour l’excellente initiative que constitue ce blog, qui démontre votre volonté de sortir du cadre académique traditionnel. Ce qui m’a incité à y poster ce message.
Cher Monsieur Hermann,
Vous ne pouvez certainement imaginer à quel point votre message me fait plaisir. Tout autant que l’intervention du Professeur Blanpain qui exprime assez exactement ce que je pense.
Nous vivons dans un système universitaire qui, il faut le reconnaître, évolue dans le sens que vous préconisez, mais encore trop lentement et très inégalement d’une faculté à l’autre.
Le mécanisme de financement public de nos universités (publiques ou non) est exclusivement basé sur le nombre d’étudiants, mais en interne, l’allocation des ressources aux facultés et départements — en particulier les ressources humaines (assistants, staff administratif et technique) — qui est largement basée sur des traditions historiques lointaines et désuètes, tient compte à la fois du nombre d’étudiants et du nombre de cours et d’heures de cours. Une vieille culture encore tenace persuade les universitaires que leur importance, leur prestige et leur valeur sont liés au nombre de cours et d’heures de cours qui leur sont confiés et ils multiplient ce nombre d’heures, si ça leur convient, par le nombre d’étudiants. Cette tradition a pour conséquence une augmentation déraisonnable du nombre de cours et des heures associées.
La réforme dite « de Bologne » a légèrement modifié les choses en remplaçant les heures de cours par des crédits transférables entre universités européennes. Mais l’effet est minime. L’importance du professeur reste trop souvent mesurable, à ses yeux, par le produit « nombre d’ECTS x nombre d’étudiants.
Bref, la conclusion que Roger Blanpain et vous-même tirez est la bonne: l’effet pervers du système universitaire actuel est la multiplication des cours et formations, moins dans l’intérêt des étudiants que dans celui de la carrière ou l’ego de leurs enseignants.
Cependant, les choses ne sont pas si simples. Cette dérive, constatée et dénoncée sans relache par mon prédécesseur qui parlait de « l’université aux 6.000 cours » (il faut toutefois noter que ce phénomène n’était pas propre à l’ULg, loin de là), a été fortement enrayée, mais par des mesures plus ou moins coercitives et basées sur une diminution uniforme des allocations de ressources: on s’est tous « serré la ceinture ». Aujourd’hui, les choses allant déjà mieux, une autre approche s’impose: celle d’un calcul plus juste, tenant mieux compte des réalités et des spécificités particulières et décourageant la multiplication des cours et l’allongement du temps de « bourrage de crâne ». On ne peut plus éviter d’affronter de face la question de la multiplication des enseignements qui permet de créer des charges sur mesure et d’assurer aux bons serviteurs de la maison un statut de professeur. Que les étudiants, dans la structure de leur cursus d’études, soient victimes de cette pléthore, n’est pas acceptable.
Si toutes les pratiques anglo-américaines ne doivent certainement pas être adoptées aveuglément, il est clair qu’un système de formation (plus encore que d’enseignement) qui fasse appel au sens de l’organisation , aux qualités d’initiative et d’autogestion des étudiants est un objectif majeur.
C’est pourquoi j’ai dit, lors de la Rentrée Académique dernière, que j’ambitionnais pour mon université d’être une institution dont on sortirait: 1) au moins bilingue, 2) doté d’un bagage de mobilité internationale mais aussi 3) formé à l’auto-apprentissage et à l’aptitude à la recherche autonome du savoir.
J’en ai déjà longuement parlé ici, il importe aujourd’hui de réexaminer la charge d’enseignement et aussi les méthodes. Si l’ex cathedra possède quelque vertu, c’est néanmoins une formule risquée, qui ne présente de qualités qu’avec les grands ténors du tableau noir. Dans ce cas-là, la transmission par le « maître » peut en effet être très marquante pour l’étudiant. Mais il n’en est pas moins vrai que la formation idéale est celle qui donne à l’étudiant les vrais outils qui l’aideront à développer ses capacités personnelles et qui lui permettront de s’épanouir par lui-même.
Ceci nous amène donc à une profonde réflexion sur les modes de formation et à une remise en question du mode d’allocation des ressources aux différents départements, voire même à une autre organisation de l’université. J’aurai l’occasion d’y revenir durant cette année académique, pendant laquelle je compte proposer les réformes correspondantes.
Je serais curieux de savoir combien l’université de Hull comptait d’étudiants et quel était le ratio encadrants/encadrés, pour pouvoir se permettre ce type de formation…
Commentaire de Vandenheede Marc, le 26 nov 2007 sur le blog interne
Commentaire de Bernard Rentier, le 26 nov 2007 à 19:14Cher Monsieur le Recteur,
Un grand merci d’avoir mis ma réflexion en évidence sur votre blog et d’y avoir apporté une réponse aussi positive et déterminée. Vous avez tous mes encouragements pour votre ambitieux et difficile programme de réformes de l’ ULg. Si l’année d’étude que j’ai passé à l’université de Hull a été aussi enrichissante pour mon dévelloppement personnel, c’est aussi parce qu’elle pouvait s’appuyer sur l’excellente formation que j’avais reçu à l’ULg. Soyez assuré que mon attachement à mon Alma Mater est profond et sincère.
Je suis et resterai un lecteur attentif de votre blog.
Bien à vous,
Philip Hermann
Commentaire de Bernard Rentier, le 26 nov 2007 à 20:19Un petit lien qui répond à votre question: http://www.hull.ac.uk/hulluniversity/facts/index.html
@ Marc Vandenheede.
Même si comparaison n’est pas raison, vous noterez que l’université de Hull compte 19 818 étudiants pour 2515 personnes employées, dont 1026 font partie du personnel académique.
Tandis que celle de Liège compte 17 000 étudiants, pour un total de 3200 personnes employées dont 2500 enseignants-chercheurs.
Commentaire de Philip Hermann, le 26 nov 2007 à 21:44Très bien. Mais un cours, aussi bien donné qu’il soit ne fera pas nécessairement un bon manager d’un docteur en science. Savoir s’intégrer dans une entreprise existante plutôt que d’en créer une est peut être aussi une qualité qui n’est pas assez développée.
Commentaire de Pierre Robette, le 28 nov 2007 à 12:15La question de l’esprit entrepreneurial n’est pas nécessairement liée à la création d’entreprises, mais effectivement à l’aptitude à s’intégrer dans la vie professionnelle quelle qu’elle soit, y compris au sein d’une entreprise. Toutefois cette capacité de prise en charge autonome est requise pour réussir dans n’importe quelle carrière.
Commentaire de Bernard Rentier, le 28 nov 2007 à 17:09De manière générale, la tendance est à “l’apprentissage sanction”. Plusieurs conciles de réforme n’ont pas encore réussi à mettre au point LA méthode d’enseignement idéale, compte tenu du nombre d’étudiants et des matière abordée.
Pour ce qui concerne la formation des vétérinaires, il y a longtemps que l’on parle de la pléthore, souvent avec raison, mais aussi parfois pour palier aux carences de certains enseignements, il faut le reconnaitre. Peu importe ma foi, peut-être est-il temps de renouveler notre stock de méthode d’apprentissage alternatif?
Quid des appareillages de réalité virtuelle (Haptic, mannequin…) qui sont déjà l’apanage des formation des médecins et des vétérinaires ailleurs, lorsque les formations extra-muros sont insuffisantes?
Le nombre de travaux personnels sont également insuffisants pour assurer le maintient de l’apprentissage continu, en dehors des période de session. Dans notre faculté, probablement que la raison de ces “échecs” vient du fait que la plupart des enseignant sont des cliniciens et que les deux activités limite le champ d’action hors des sentiers battus…
Mais on peut continuer à rêver à un futur -proche je l’espère- où les étudiants auront l’occasion d’être évalués en continu et personnellement sur des connaissances, des gestes et leur savoir-être.
Pour info : Utilisation of stimulators in Veterinary Training (Baillie S.) Cattle practice BCVA 2007
Commentaire de Theron Léonard, le 1 déc 2007 sur le blog interne
Commentaire de Bernard Rentier, le 1 déc 2007 à 19:55Bonjour,
Etudiante en 3°bac en médecine vétérinaire et intéressée par le débat sur « le manque de créativité et de réflexion dans l’enseignement », j’aimerais vous faire part de mon témoignage car cela est une grande déception de mes études, sentiment, je crois, partagé par beaucoup d’etudiants!
En effet rien ne sert d’apprendre des montagnes de syllabi si l’on ne sait pas réflechir!
Bien sûr il faut des connaissances théoriques, des bases à la réflexion et nos cours sont, de ce point de vue, assez intéressants. Pourtant la phrase qui est sur toutes les lèvres d’etudiants à la sortie des exams est: « on a encore appris plein de trucs inutiles qui seront oubliés aussitôt! ». Ainsi, à force de ne jamais réfléchir, les étudiants ne voient plus l’intérêt de ce qu’ils apprennent!
En effet nous ne sommes jamais confrontés à un problème, une dissertation, nous ne devons que très rarement analyser des données, des résultats d’expériences afin de proposer une explication, deviner un mécanisme… Pourtant c’est ce que nous serons amenés à faire dans notre futur métier quand nous devrons, à l’aide des symptômes et grâce à nos connaissances, construire un raisonnement pour proposer un diagnostic et un traitement.
Nous ne voulons pas être des techniciens qui reconnaissent une pathologie et appliquent un traitement par imitation, sans comprendre pourquoi, sans aucune capacité d’analyser un éventuel échec de traitement et donc incapables de s’améliorer!!!
Il faudrait introduire plus de réflexion dans notre formation car le cerveau n’a t-il pas, tel un athlète, besoin d’une gymnastique regulière ?
Et puis, ne retient-on pas mieux quand on apprend en réfléchissant?
Comment introduire de la réflexion dans l’enseignement alors que nous sommes nombreux et que le volume de matière est très important?
Peut-être tout simplement en donnant cours?
En posant des questions, en refaisant faire aux étudiants le raisonnement qui a conduit à la découverte du principe, en donnant des exemples de terrain…
Travaux pratiques: en les utilisant encore plus pour apprendre à réfléchir, c’est en se trompant que l’on apprend à mieux raisonner. Les TP, c’est l’occasion de faire des problèmes, des interros, des réflexions + ou – blanches.
Ne pas faire des TP où on applique bêtement une recette, devoir analyser, déduire l’information, bref, avoir une démarche scientifique!
Examens: enfin, pourquoi ne pourrait-il pas y avoir des épreuves de restitution de connaissances (comme nous avons actuellement) et aussi des épreuves de réflexion?
Examens par QCM: bien qu’il soit possible de poser des questions intelligentes dans un QCM, je déplore que, bien souvent, la réflexion consiste plus à trouver le piège de la question, ou quand il ne s’agit pas de par-cœur, la réflexion est déjà toute faite, il n’y a plus qu’à choisir! Ce n’est pas la même chose que de construire soi-même un raisonnement complet et exhaustif!
…je devais plus réfléchir au lycée!!
Le manque de réflexion en études vétérinaires crée de la lassitude et est peu valorisant pour les étudiants qui ont le sentiment de ne pas être intelligents et craignent de ne rien savoir faire en sortant: difficile de tout connaître par cœur pour toutes les disciplines et pour tous les animaux…
Commentaire de Hinton Agathe, le 12 jan 2008 à 0:12J’espère ne pas avoir froissé la susceptibilité des enseignants et assistants de la faculté vétérinaire qui font des efforts afin de solliciter la réflexion et l’interactivité, auquel cas j’en suis désolée. De plus, Mr le Doyen a porté à ma conaissance les éléments de la réforme en cours, allant en ce sens.
Commentaire de Hinton Agathe, le 16 jan 2008 à 0:44N’ayez crainte. Ce blog est un lieu d’expression libre. Il doit permettre à chacun de s’exprimer et de faire connaître ses soucis, surtout lorsqu’ils sont de cette importance. Si le Doyen a réagi en remettant les choses au point puisqu’elles semblent avoir évolué dans le bon sens depuis que vous les avez vécues, tant mieux. c’est la preuve que cette conversation a été utile.
Commentaire de Bernard Rentier, le 16 jan 2008 à 8:05