Dans les échanges qui animent aujourd’hui les forums sur l’Open Access (OA), un souci est de plus en plus souvent mis en avant, celui de la rentabilité. Beaucoup de chercheurs, de bibliothécaires, mais aussi de représentants des grandes multinationales de l’édition scientifique se demandent si le passage à l’OA, que ce soit par le chemin « doré » ou par le chemin « vert », va tuer les business models actuels et s’il va en générer de nouveaux, viables voire profitables.

Aux chercheurs et aux bibliothécaires, je répondrai que pour ce qui les concerne, hormis la coïncidence qui ferait d’eux également des éditeurs, ce souci n’existe pas. En revanche, que ce soit celui des éditeurs, je le comprends fort bien et il est évident qu’il faut trouver des solutions (au moins temporaires) pour éviter de les précipiter à la banqueroute. Je parle ici des éditeurs respectables, généralement proches du monde scientifique et non de ceux qui ont fait de l’édition scientifique un business model particulièrement juteux en prenant les chercheurs en otages et en les exploitant au maximum en vertu de nécessités aujourd’hui en voie de disparition grâce à l’avènement de la publication électronique.

Le monde de l’OA est ouvert (sans jeu de mots) à la discussion sur les nouveaux modèles à mettre en place, mais il n’acceptera, pour les chercheurs eux-mêmes et pour les universités ou les centres de recherche, que des propositions raisonnables sur le plan financier, et compatibles avec un accès libre et rapide à l’information scientifique.

Nous assistons aujourd’hui — mais avec une vision déformée par la compression du temps — à un changement de paradigme qui pourrait se comparer, par son ampleur, à celui que le monde a connu avec Gutenberg. Beaucoup de chercheurs sont dans la situation de ceux qui, au moment de l’invention de l’imprimerie, avaient du mal à percevoir et à appréhender le changement de culture mais aussi le changement de civilisation que cette nouvelle technologie allait provoquer.

L’imprimerie a condamné la profession des scribes et des copistes. Elle a donc littéralement transformé le business model de la diffusion du savoir de l’époque. Mais qu’elle ait changé le business model n’est pas l’important. Ce qui compte, c’est qu’elle ait changé le monde en modifiant radicalement le communication model, pardonnez l’anachronisme. Seuls ceux qui regrettent les révolutions culturelles qui ont suivi, la Réforme, la Renaissance et les Lumières, s’en plaindront.

En permettant le passage de la confidentialité culturelle au sein d’un microcosme de lettrés à la diffusion large pour une multitude de lecteurs, le texte imprimé a bouleversé l’ensemble des relations entre les êtres humains, impact que seules la radio puis la télévision ont réussi à imiter depuis lors. Aujourd’hui, la révolution, c’est l’Internet, avec ses bons et ses mauvais côtés — comme en ont eu l’imprimé, la radio et la télévision — et il serait impensable que la communication scientifique n’en profite pas, comme il eut été impensable qu’elle ne profitât point de la diffusion imprimée en son temps.

La diffusion du savoir doit « surfer » sur les vagues technologiques qui se mettent à sa disposition. Seule compte l’efficacité de la diffusion. Les business models s’adaptent ou disparaissent et cela ne pourra jamais plaire à tout le monde. Les mutations de savoir-faire se sont toujours montrées défavorables aux intérêts de ceux qui tiraient profit des pratiques antérieures, c’est la loi économique de l’évolution technologique.

Pour ma part, si une évolution permet de faire progresser à moindre coût la diffusion du savoir, qu’elle ait un impact négatif sur un business model m’importe peu. Ce qui m’importe, c’est que l’argent, qui ralentit déjà beaucoup trop l’avancement des sciences et en particulier leur compétition avec l’anti-science — la « junk science » est en accès libre, elle! —, soit le moins possible un frein et qu’il interfère le moins souvent possible avec l’intérêt supérieur du partage des connaissances acquises grâce aux deniers publics.