La Fédération des Étudiants Francophones réagit à une interview que j’ai donnée au journal L’Avenir. J’aimerais remettre les choses dans leur contexte.
Tout d’abord, par rapport à l’article. En effet, dans sa version longue (version papier), il est peu fidèle à ce que j’ai dit. Tout le bien que je pense de la réforme qu’amène le décret « Paysage » a été évacuée pour ne garder que les aspects critiques, par ailleurs fortement grossis.
Cette déformation de mes propos, parfois flagrante, parfois plus subtile, trahit le fond de ma pensée. Le mal est fait, mais essayons tout de même de clarifier.

« Entre démocratie et démocratisation
Aujourd’hui, sur le site du journal L’Avenir, le recteur de l’ULg Bernard Rentier exprime sa vision de la démocratie dans l’enseignement supérieur, réfutant la comparaison entre l’université et un moulin. Selon lui, la réforme Marcourt est née d’une stratégie électorale et la FEF ne comprend pas le sens du mot ‘démocratie’. »

Effectivement, l’article de journal laisse penser que je crois qu’une stratégie électorale a présidé à la rédaction du décret « Paysage ». Il n’en est rien et c’est là une déformation de mes propos. En réalité, je suis convaincu de l’intérêt de ce décret et je pense sincèrement qu’il contribuera à faire évoluer l’enseignement supérieur francophone belge. Je pense effectivement qu’il comporte encore des défauts et des lacunes et qu’il doit être adapté aux réalités de terrain mais sur le fond, j’y suis favorable.

« Alors reprenons depuis le début, avec prudence…
Pour la FEF, la liberté d’accès à l’enseignement supérieur est primordiale pour de nombreuses raisons. Il est indispensable que chacun, quelle que soit son origine sociale et culturelle, quels que soient ses moyens financiers puisse avoir accès, s’il le souhaite, à l’enseignement supérieur. »

Je partage complètement cette analyse. Aucun obstacle de nature sociale ou financière ne peut barrer la route de l’université à quiconque. Toutefois, je fais un constat : ce n’est pas nécessairement la vocation de tout le monde de faire des études universitaires. Ou alors, il faut faire entrer dans l’université toute la diversité des formations qui aujourd’hui n’y sont pas. En bref, c’est là tout l’intérêt que je porte à la constitution des pôles. Dans cette configuration, la diversité ne s’accroît pas au sein de l’université mais est disponible dans chaque pôle. La visibilité de l’éventail des formations offertes au sein du pôle sera donc beaucoup plus grande demain qu’elle ne l’est aujourd’hui. De plus, il faudra se débarrasser de l’échelle de valeurs que l’on connaît aujourd’hui dans la comparaison des formations disponibles. En d’autres termes il faudra se débarrasser de la vieille idée des formations de premier choix ou de second choix, mais faire en sorte que chacun choisisse les études qui lui sont le mieux appropriées. Cela implique évidemment un test d’orientation. Et si le futur étudiant ne souhaite pas suivre la piste que les spécialistes de l’orientation lui ont indiquée, libre à lui. Mais, le cas échéant, il devra faire face a l’éventualité d’une préparation insuffisante. C’est là qu’intervient l’année propédeutique que je suggère d’organiser. L’autre option est alors de le laisser commencer des études pour lesquelles il n’est est pas prêt et affronter la réalité d’un échec en fin de première année, ce qui s’impose à près de 70 % des étudiants au premier essai. Pour moi, une prise en charge plus personnalisée par des spécialistes mettrait l’étudiant dans une situation bien plus positive que de l’envoyer directement « au casse-pipe ».

« Alors lorsque Bernard Rentier estime qu’un test préalable à l’entrée à l’université serait démocratique, permettant de laisser moins de gens « sur le côté de la route », la FEF réagit.
Tout d’abord, le type d’études qu’un étudiant fait ne doit pas être déterminé par ses résultats à un test d’entrée, ses connaissances en fin de secondaires étant déjà évaluées par le CESS, mais bien par sa liberté de choix quant à son avenir notamment grâce à la mise en place d’un service public d’orientation. En effet, il n’existe actuellement pas de service regroupant de manière impartiale toutes les filières présentes dans l’enseignement supérieur. Le service public d’orientation que défend la FEF répondrait à ce manque de communication entre l’obligatoire et le supérieur. Et si l’enseignement secondaire belge est réputé pour être fortement inégalitaire, ce n’est pas à l’élève sortant d’en payer les pots cassés à l’entrée du supérieur. »

Commençons par préciser que je ne suggère nullement que « le type d’études qu’un étudiant fait doit être déterminé par ses résultats à un test d’entrée ». J’ai toujours été clair sur le rôle de ce test, que je considère comme la mise à disposition d’un tableau de bord permettant à l’étudiant de jauger ses forces. L’étudiant fait ensuite ce qu’il veut. À nous de lui offrir le soutien dont il a besoin.
Je ne ferai pas de commentaire sur la valeur indicative du CESS.
Par contre, c’est bien le rôle du Pôle de regrouper de manière impartiale la panoplie des formations d’enseignement supérieur disponibles. C’est aussi à lui d’assurer la rigueur des informations fournies, à lui aussi de veiller à minimiser le phénomène de concurrence, en mettant en place des synergies profitables à tous les acteurs de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, divers établissements, dont l’ULg, disposent de services d’orientation où des professionnels avertis peuvent utilement conseiller l’étudiant sur son choix et il peut ensuite trouver des conseils de guidance dans ses études et un soutien à sa réussite. Ce sont ces structures-là qu’il conviendrait de renforcer considérablement si leur mise à contribution se généralise, ce qui serait très positif.

« Si « le but de ce test est d’aider le maximum d’étudiants à réussir », »

C’est bien son but, en effet.

pour la FEF, même s’il est présenté comme une mesure d’aide à la réussite, ce test n’aura en fait comme unique conséquence que de cristalliser les inégalités du secondaire. Si l’objectif est d’aider l’étudiant à réussir, c’est aux établissements de mettre en place des mécanismes adaptés tels que la remédiation. Par ailleurs, selon Bernard Rentier, sans cette année propédeutique, les « éléments qui ont besoin de plus d’explications ou qui progressent moins vite, ralentissent ceux qui sont prêts et donc le niveau de l’ensemble baisse ». Si le choix du mot « élément » en parlant d’un étudiant est plus que déplacé de la part d’un recteur, les tendances pro-élitistes sous-jacentes au propos le sont encore plus ».

Tout d’abord, je n’utilise jamais le mot ‘élément’ en parlant d’une personne, sauf pour en dire particulièrement du bien (« c’est un excellent élément! »). Comme je l’ai dit, je ne suis pas responsable de la transcription journalistique de mes propos!
Si on dit: « c’est aux établissements de mettre en place des mécanismes adaptés tels que la remédiafion », on indique implicitement qu’il faut évaluer au préalable. Sinon, à qui donner de l’aide…? Le test est, pour moi, cette évaluation.
Si c’est de l’élitisme de prétendre que chacun doit avoir la liberté (ou le droit, c’est comme on veut) d’avancer au mieux de ses capacités et à sa vitesse optimale, alors j’assume mon élitisme.
Que tout le monde soit égal devant le coût des études, je suis d’accord. Admettre que tout le monde nait égal en capacités ou que tout jeune de 18 ans est égal en motivation, me semble beaucoup plus difficile!

« Pour la FEF, l’enseignement supérieur doit être accessible à tous et non réservé à une élite. La mise en place d’outils pédagogiques complémentaires permettrait à ceux qui en ont besoin de se remettre à niveau sans « ralentir » les autres étudiants ».

D’accord. Dans la mesure où ils ont la motivation nécessaire.
Lorsque j’enseignais en 1è candidature, comme bondissait alors, je donnais à tous les étudiants la même question, une question simple sur une matière de fin d’école primaire dont je donnais au préalable la réponse: un schéma fonctionnel du coeur et de la circulation sanguine dans celui-ci, ventricules, oreillettes, tout ça. Tous les étudiants savaient qu’en préambule à leur examen, ils allaient avoir cette question et le schéma était à leur disposition toute l’année dans les notes de cours. Je l’expliquais en détail pendant le cours le moment venu. Dix-sept pourcents des étudiants étaient incapables de faire approximativement ce schéma le jour de l’examen…

« Enfin, la FEF revient sur la suggestion magnanime du recteur, en proposant « pourquoi pas, une bourse » pour suivre
cette année propédeutique. Or qui dit année supplémentaire, dit frais supplémentaires. Le recteur de l’ULg ne semble pas conscient des frais engendrés, directement ou indirectement, par une année d’études supérieures. Frais qui constituent une des principales barrières à l’enseignement supérieur ».

Le « pourquoi pas » n’est évidemment pas de moi. La bourse me semble aller dans le bon sens. Je suis parfaitement capable de réaliser qu’une année d’études, ça coûte. C’est pourquoi je répugne à faire doubler 60 fois sur 100 les étudiants qui entament à l’aveuglette des études sans même qu’ils sachent si ils ont une chance de réussir, au moins avant Noël.

« Si Bernard Rentier souhaite remettre en question la démocratisation de l’enseignement supérieur, la FEF ne peut que le rejoindre sur ce point. Mais rien ne justifie l’interdiction de se former sur base de critères culturels et sociaux, ou de sélection financière. Instaurer un service d’aide à la réussite de qualité et un service public d’orientation sont
pour la FEF une bien meilleure manière de diminuer le taux d’échec et de rendre véritablement démocratique l’enseignement supérieur ».

Nous sommes bien d’accord, et il n’est pas question d’interdiction, mais de prise de conscience. Quant à un service d’aide à la réussite de qualité et un service public d’orientafion, ils existent. On peut les renforcer, si on dispose de moyens, mais tout a sa limite. Pour beaucoup d’étudiants, les bases manquent et il est très difficile de les acquérir tout en soutenant le rythme du 1er Bac. Bien sûr, le mieux est de ne pas perdre d’année, mais tant qu’à redoubler, les chances de réussir la deuxième année sont bien meilleures si on a consacré la première à se préparer et à combler ses lacunes que si on l’a passée à courir derrière un train dont on a été largué très tôt…

Un vrai point de consensus: le refinancement indispensable de l’Université, en ‘définancement’ chronique depuis de nombreuses années, au point de devenir incapable de remplir son rôle et d’assurer un parcours adapté à ceux qui, parmi ses étudiants, ont besoin de soutien.