sam 28 sept 2013
Le sacrément dur baptême *
Posté par Bernard Rentier dans Culture , Enseignement/Formation , Généralités5 Commentaires
Le Soir, La Libre, La Dernière Heure, Le Monde, Libération, Le Figaro, BFMTV, L’Alsace, Le Point, 20Minutes.ch (Suisse), L’Express, TF1, Actu.orange.fr, Het Laatste Nieuws, etc.
L’avalanche des titres de presse qui ont suivi ma déclaration ferme après l’accident de « baptème » estudiantin dimanche dernier m’amène à préciser quelques points.
Tout d’abord, il convient de remarquer qu’il ne s’agissait pas d’une activité encadrée par un « comité de baptême », comme le précise bien la SGEV dans un communiqué. Par ailleurs, précisons d’emblée qu’après avoir passé la semaine à l’hôpital où ses parents, venus de Saint-Etienne, l’ont rejointe, la jeune fille se porte bien.
1. La réaction coup de poing. La colère que j’ai manifestée dans la presse a pu laisser penser que je voulais prendre immédiatement des mesures extrêmement graves (exclusion) à l’égard des responsables et que j’allais convoquer un Conseil d’administration spécial pour procéder à une condamnation sommaire. Il n’en est rien. En fait, je voulais dire qu’à l’occasion d’un Conseil d’administration exceptionnel, convoqué pour régler des questions budgétaires, j’en profiterais pour ajouter un point de communication, que j’y relaterais les faits et que je demanderais au C.A. d’accepter le principe de l’utilisation d’une procédure qui peut, à l’extrême, conduire à une exclusion définitive. Seul le C.A. est habilité à prendre une telle décision. Dans ce cadre, je souhaite que le C.A. prenne des mesures.
2. Le respect des lois. Il va de soi que cette procédure, bien codifiée, prévoit la garantie des droits de la défense et qu’elle ne pourrait être envisagée que si la Justice déterminait des coupables et leur niveau de culpabilité. L’Université n’a aucune compétence pour juger ce que font ses étudiants en dehors de ses murs ou de ses propriétés. Les évènements se sont produits en dehors du périmètre de l’Institution.
3. L’âge de raison. Les étudiants universitaires sont pratiquement tous majeurs et je n’ai d’autorité sur eux que dans un cadre (activités, environnement) bien précis. Il ne m’appartient donc pas de vérifier ni de faire vérifier où ils sont ni ce qu’ils font.
4. Bizutage, baptême, folklore. Un petit lexique. Nombreux sont ceux qui m’exhortent à sévir, non seulement en punissant immédiatement les coupables (ce que je ne peux pas faire puisque je ne connais pas les coupables, la Justice s’en occupe, on verra ensuite) mais en bannissant toutes les activités de baptême à l’Université. Il convient de distinguer différentes formes:
- le « bizutage » que les français ont légalement mis hors-la-loi et que je souhaite vraiment faire disparaître. Il s’agit de brimades, humiliations et épreuves physiques relavant de la beuverie. Si le principe de l’épreuve, lié aux rites initiatiques, présente un intérêt, il peut se traduire de manière plus respectueuse de chacun. Les frères d’armes, c’est un peu dépassé. L’épreuve peut trouver tout son sens dans une version plus symbolique. Dans ce cadre, je souhaite que le C.A. prenne des mesures.
- le « baptême » à la belge peut faire l’objet d’une large gamme de variantes, il n’est pas le même dans toutes les facultés ni dans toutes les universités. Les vétérinaires ont donné à leur baptême, depuis plus de 150 ans, une réputation terrifiante et ils l’entretiennent soigneusement, notamment en autorisant le ‘bizutage’. Aujourd’hui, ils ont considérablement évolué et fixé (ils le rappellent dans leur communiqué) des règles qui, officiellement, le réprouvent. Ils avaient également l’habitude de pratiquer une ségrégation très dure, parfois physiquement, mais surtout psychologiquement, de la part des baptisés sur les « chroniques » (référence à la permanence de la maladie qui consiste à ne pas être baptisé!). Dans le passé, ces comportements étaient exercés par les étudiants mais également par les professeurs. Ceci est rigoureusement interdit aujourd’hui. Le corps professoral a bien évolué et je n’ai plus reçu de plainte ou dénonciation directe, je n’ai donc pas besoin de faire usage du Conseil de Discipline. Néanmoins, des témoignages récents indiquent que le feu couve dans la population étudiante et qu’il s’agit de rester vigilant. Une moitié seulement des étudiants est baptisée aujourd’hui alors qu’ils étaient 95% naguère.
- Le folklore estudiantin est encore plus large. Il incluait le bizutage (mais plus depuis un certain temps) et les baptêmes. Très attaché à ces derniers, il comprend également de nombreuses autres activités qui contribuent à entretenir un esprit d’appartenance et qui comprennent les grandes manifestations comme, à Liège, la Saint-Nicolas et la Saint-Torè, leurs cortèges, soirées et… libations).
Les accidents de ‘bizutage’ sont inacceptables et cela d’autant plus que le ‘bizutage’ lui-même est proscrit. C’est ce que la presse a rapporté en me faisant dire que les baptèmes étaient interdits à l’Université. Les bizutages le sont. Les baptèmes doivent être cadrés et encadrés. Il doivent respecter un nombre important de règles et de contraintes, dont celle qui permet au « bleu » de demander d’arrêter à tout moment et d’être obéi. A ce stade, il (elle) ne peut être soumis à une pression morale le poussant à continuer contre son gré sous prétexte de discrimination ultérieure, et aucune ségrégation ne pourra être exercée sur lui (elle) par la suite. Une charte des baptêmes, signée par tous les comités de baptêmes, est d’application à l’ULg et elle doit justement être réexaminée dans quelques jours.
5. Discrimination. Aucune ségrégation n’est autorisée à l’Université. Par conséquent, aucune sanction, punition, ni physique ni morale ne peut être exercée par un groupe sur un autre. En particulier, aucune activité officielle, stage, voyage d’études, visite extérieure, aucun accès aux notes de cours et autres documents officiels, aucun accès aux bâtiments, salles, équipements, activités universitaires ne peut être entravé pour qui que ce soit s’il est régulièrement inscrit comme étudiant à l’Université, dans le cadre prévu de sa filière d’études. Dans ce cadre, je souhaite que le C.A. prenne des mesures et punisse sévèrement les contrevenants.
6. Liberté individuelle. En dehors de ces règles élémentaires qui relèvent plus des droits fondamentaux et de l’égalité des chances que d’un règlement interne particulier, les activités liées aux baptêmes sont autorisées (sauf les démonstrations intempestives dans les locaux universitaires) ainsi que la participation aux activités folkloriques. Comme déjà mentionné, les étudiants sont adultes et il ne m’appartient pas de contrôler leur vie privée.
7. Les assuétudes. L’Université déploie un programme important pour combattre les assuétudes en général et l’alcoolisme en particulier. Elle est donc face à une contradiction lorsqu’elle autorise la consommation d’alcool sur sa propriété, lors de manifestations, etc. Elle est totalement opposée à la consommation abusive d’alcool et se voit contrainte de prendre des mesures pour éviter ces abus. Il va de soi que les soirées « folkloriques » sont en totale contravention avec cet engagement et que, soit elle sont régulées et contrôlées par leurs organisateurs de façon responsable, soit elles n’ont pas lieu sur les campus. Pour situer la difficulté que je rencontre, il faut savoir que de nombreux parents ou observateurs me reprochent dans un courrier nourri de rejeter ces beuveries à l’extérieur, où elles échappent à tout contrôle. Je dois bien leur répondre que je ne puis tout contrôler à l’intérieur non plus (je n’ai pas de moyens pour engager des surveillants le soir pour les « guindailles » et je ne peux en prendre la responsabilité sans en avoir le contrôle) et que je ne peux empêcher aucune organisation de quoi que ce soit en dehors de l’Université.
8. Il n’y a pas de risque zéro. On ne peut tout interdire sous prétexte qu’il y a un risque. On ne ferait rien. La vie à l’Université est aussi le lieu et le moment de l’apprentissage de la vraie vie avec ses dangers et ses défis.
Voilà qui devrait éclaircir quelque peu la confusion des situations et des avis, tout en indiquant les paradoxes auxquels je suis personnellement confronté.
Je reçois des dizaines de lettres et de messages électroniques m’accusant de vouloir tuer le folklore, d’en finir avec les baptêmes. Certains sont intelligemment développés, d’autres sont franchement intellectuellement déficients, certains sont simplement injurieux.
Je reçois des centaines de lettres et de messages électroniques me reprochant mon laxisme et m’accusant d’encourager les pires dépravations, et des messages d’incompréhension des raisons pour lesquelles je n’interdis pas simplement « tout ça ». Et ceci surtout dans les moments de crise, généralement lorsqu’un accident vient de se produire. Plusieurs décès émaillent mon parcours de recteur, tous dans des circonstances sur lesquelles je n’ai pas le moindre contrôle ni même le droit d’en avoir. Et cependant aucun d’entre eux ne s’efface de mon souvenir. Dans chaque cas, j’ai ressenti un profond sentiment de colère, de frustration et de tristesse, mais aussi d’impuissance. Cette fois-ci, le dénouement est heureux et c’est très bien ainsi. Mais on a quand même frôlé la catastrophe.
J’ai rédigé ceci non pas pour me justifier de quoi que ce soit, mais pour pouvoir envoyer une information structurée à ces correspondants ou interpellants qui doivent pouvoir comprendre mes limitations et parce qu’une explication claire me semblait indispensable. L’explication a le mérite d’exister. J’espère qu’elle est claire.
*: le sujet est grave, il lui fallait un clin d’oeil… J’espère qu’on me pardonnera le jeu de mots du titre !
Il suffit d’être ferme : le folklore a sa place à l’université, comme objet d’études (en gros, qu’est ce qui pousse des gens à se comporter comme cela), pas comme comportement. Le folklore, même si c’est « gentil » (=boire un péket, manger une bouquette, etc, pour rester à Liège), ce n’est pas une valeur de l’université. Devenir ingénieur, médecin, vétérinaire est un parcours qui implique la capacité de franchir des épreuves, mais à ce compte-là il faudrait que le baptême des philosophes soit le plus éprouvant : ils sont amenés à décrypter le réel, si c’est possible : je n’ai pas d’écho que le baptême en philosophie soit vexatoire. Alors : c’est aux autres de réfléchir sur le bien-fondé de leurs certitudes de nazillons, comme si bien dit.
Commentaire de Jean Housen, le 28 sept 2013 à 19:57Le plus grave problème, c’est la banalisation de l’alcool à tous les échelons de la société. On est en droit de se poser la question de savoir pourquoi ce lubrifiant est quasi devenu indispensable aux relations sociales. En buvant, que voulons-nous noyer, que voulons-nous nous autoriser que nous n’oserions pas faire à jeun? L’alcool, une terreur? Un sujet tabou.
Commentaire de bsna, le 30 sept 2013 à 10:08Le probleme est parfois de freiner les postulants au bapteme, qui sont, pour certains d’entre eux extremement motivés, et il n’est pas toujours besoin de les « forcer », une simple sollicitation peut leur suffir. Un peu comme un sportif trop motivé qui perd sa capacité a dicerner ses limites. Ainsi peut s’expliquer cette déclaration comme quoi la jeune étudiante n’a pas été forcée ( déclaration qui a soulevé mon indignation car il est clair qu’elle ne s’est pas précipitée d’elle meme pour ingurgiter plusieurs litres d’eau ), dans ces situations c’est aux responsables des futurs baptisés de surveiller et gérer leurs protégés, et de les contraindre a la modération.
Commentaire de doumont, le 30 sept 2013 à 21:18Très souvent, nous expérimentons que dire « non » une fois est insuffisant car nous avons été éduqués avec des personnes ou des institutions qui disent très vite « oui » à ce qu’on leur demande.
Commentaire de Benoît, le 1 oct 2013 à 10:11Il faut donc dire « non » une deuxième fois. Ce n’est pas facile car il entraîne une frustration chez celui qui est en face, qui va insister. De plus, dire « non » une deuxième fois suppose des explications qui vont faire appel à des mots ou à des notions qui ouvrent des débats qu’on n’a pas nécessairement envie d’avoir dans des moments comme ceux-là. Dire « non » deux fois, ça s’apprend, c’est prendre le risque de se faire mal voir et d’être impopulaire,par contre, c’est gagner de la liberté et finalement du respect.
Cher Monsieur le Recteur,
Tout en comprenant, au moins un minimum, votre réaction sur ce sujet sensible, je ne peux toutefois m’empêcher de me questionner sur quelques points, faisant suite à la diffusion de votre moratoire ce lundi matin.
Je ne peux m’empêcher de remarquer que ce fameux moratoire apparaît moins de 48 heures APRES le baptême de la faculté vétérinaire, qui, comme de nombreuses fois dans le passé, est à l’origine des débats.
Je ne peux m’empêcher de remarquer également que ce moratoire apparaît, sauf erreur de ma part, avant l’établissement d’un dialogue, qui je pense, n’a jamais été refusé par les associations estudiantines dans le passé.
Mon point de vue sur le baptême en lui-même n’ayant que peu d’importance, mon intention n’étant pas de critiquer le fond mais la forme.
Je trouve simplement regrettable d’en arriver à de telles extermités, à mon sens proches du despotisme, sans avoir ouvert le débat et en particulier lorsque ce débat ne concerne plus les principaux « fautifs »…
En espérant que les discussions qui vont s’ouvrir sous peu soient constructives et efficaces, je vous salue bien cordialement.
Christophe.
Commentaire de Christophe, le 7 oct 2013 à 15:12