La semaine dernière était celle de l’Accès Libre, l’Open Access Week. Chaque année, elle revient au mois d’octobre. Chaque année, elle est émaillée d’événements un peu partout dans le monde. Chaque année, elle renforce chez les militants de l’OA la conviction que, même si on avance trop lentement à leur goût, on avance.
Je ne sais pas pourquoi mais cette année, il me semble que l’ »OA Week » fut particulièrement trépidante.

Sans doute d’abord parce que j’ai moi-même reçu des invitations nombreuses un peu partout dans le monde (un recteur militant, c’est très demandé !), le succès d’ORBi commençant à intriguer de plus en plus. J’ai choisi de me limiter à deux invitations: l’une à Braga, Portugal, à l’Université de Minho (diapositives de la présentation), qui a adopté la même politique de l’ « Accès Libre Vert » que nous et qui organisait une rencontre des universités portugaises sur le sujet; l’autre à Paris, à l’Université Pierre et Marie Curie (diapositives de la présentation), pour participer à un colloque sur l’OA et exposer le « phénomène ORBi ». Deux moments passionnants.

Sans doute aussi parce que cette semaine a été fertile en nouveautés de toutes sortes:

En Belgique, signature lundi 22 par divers acteurs majeurs du monde scientifique (FRS-FNRS, FWO, CReF, VLIR) de la « Brussels Declaration on Open Access » indiquant que, désormais, la publication en accès libre sera la règle pour les recherches subventionnées par des fonds publics. Un pas de géant à condition que le caractère obligatoire de cette mesure soit bien respecté, comme il l’est à l’ULg depuis 2008 et qui explique son succès. Coïncidence frappante: en peine semaine de l’Open Access, ORBi a franchi le cap de son millionième téléchargement !

En Australie, déclaration du nouveau directeur du principal Fonds de recherche australien en faveur de la publication en Open Access.

En Grande Bretagne. Même Elsevier, l’ennemi mortel historique de la philosophie de l’Open Access, célèbre l’OA Week! C’est dire si un revirement a eu lieu, mais attention: cela veut surtout dire que, face à une progression inévitable, le grand éditeur a compris qu’il était temps d’inverser sa politique et qu’il fallait vite se saisir du nouveau paradigme à son profit pour préparer l’époque où tout sera en accès libre. Car qu’on le veuille ou non, qu’on aime ça ou non, c’est tôt ou tard vers là qu’on va. Probablement tôt. Il a compris qu’il fallait favoriser l’OA « Gold » (publication dans un journal offrant l’OA immédiat), en offrant ses services pour cela et en les faisant payer à l’auteur, ou à l’Institution de l’auteur, ou à l’organisme finançant la recherche de l’auteur.
C’est ainsi que le lobbying intense des grandes maisons d’édition scientifique a porté ses fruits auprès de la commission « Finch » mandatée par les RCUK (Research Councils UK) pour les conseiller en cette matière et qui ont émis une recommandation importante. Avec l’ambition louable de favoriser l’Open Access, cette recommandation privilégie l’OA « Gold ». Mais une subtilité fatale s’est insérée dans le texte: le chercheur peut opter pour l’OA « Green » (publication dans un dépôt institutionnel, en accès restreint durant la période éventuelle d’embargo, en accès libre dès que possible) mais seulement si l’OA « Gold » n’est pas offert. Cela semble anodin, mais cela signifie que, rapidement, les grands éditeurs pourraient vouloir allonger la période d’embargo qu’ils imposent et proposer une formule « Gold » payante pour l’auteur, et l’on connait la courbe de croissance des tarifs imposés par ses maisons dès qu’elles ont hameçonné le client, elle n’ont plus rien à démontrer à cet égard. Le danger est donc énorme et il a été dénoncé. Il semble que RCUK soit en train de revoir le phrasé de sa décision.

En France, gros tremblement de terre dans une institution vénérable: le CNRS qui, via sa « filiale » de promotion de la diffusion du savoir, l’INIST et son programme RefDoc, propose contre remboursement, « plus de 53 millions de références d’articles, ouvrages, rapports, actes de congrès… en science, technologie, médecine, sciences humaines et sociales, de 1823 à nos jours (mise à jour quotidienne)« . Si vous avez un jour publié un article de recherche, vous avez beaucoup de chances de l’y retrouver… Allez sur le site de RefDoc, introduisez votre nom, il serait étonnant que vous ne découvriez pas que, pour la somme de 11€ que vous trouverez en cliquant « tarifs », vous pouvez vous faire envoyer votre article! (pour un envoi spécial et rapide, c’est plus cher: 50€).
Que faut-il en penser ?
Le CNRS, visiblement mal à l’aise, a répondu rapidement à ses très nombreux détracteurs (voici un exemple) (l’affaire a fait traînée de poudre, elle a viré au scandale et celui-ci a déjà été surnommé l’ »Inistgate »!). Un collectif d’auteurs s’est immédiatement constitué et propose un formulaire électronique de demande de retrait des articles par chaque auteur indigné.

Certes, le procédé dérange au plus haut point. Il reflète une immense maladresse certainement due à la méconnaissance, par une grosse machine administrative, de ce qu’est l’Open Access. En effet, hormis des livres (nous en avons retrouvé un, scindé en articles séparés et provenant d’un éditeur qui n’a jamais été consulté !), un grand nombre d’articles sont déjà en accès libre et gratuit, soit sur des sites ad hoc comme PubMed, par exemple, soit dans les dépôts institutionnels comme ORBi. Si vous vous apprêtez à télécharger un article émanant de l’Université de Liège à partir de RefDoc, venez donc le chercher sur Orbi, il vous en coûtera 11€ de moins, c’est à dire zéro !

Comment ne pas penser que cette initiative, avec son caractère massif, soit une entreprise de diffusion payante (donc cela n’a rien à voir avec l’OA !) de biens qui ne lui appartiennent pas. C’est exactement le reproche que font certains à l’OA « Green », sauf que dans ce cas, l’expédition n’est pas payante et l’accès (libre ou restreint) est accordé par les auteurs eux-mêmes (qui conservent, quoi qu’il arrive, la propriété intellectuelle et le droit au crédit).
Ce qui me dérange, c’est précisément qu’un tel scandale puisse être utilisé par des opposants à l’Open Access qui feraient un amalgame totalement abusif entre les deux initiatives.

Plusieurs de mes collègues qui se sentent spoliés me demandent d’intenter une action en justice. Ce n’est pas mon intention, pour toutes sortes de raisons et d’autres ne manqueront probablement pas de le faire. Il me semblerait plus important d’exiger de l’INIST qu’il indique clairement qu’un article qu’il vend est aussi disponible en accès libre sur un dépôt institutionnel. Cette revendication-là me semble essentielle. Toutefois, j’apprends aujourd’hui hui que l’INIST a choisi de supprimer de son inventaire les articles qui sont par ailleurs accessibles en Open Access. Réaction prudente, mais révélatrice du mobile: l’argent et non pas la diffusion du savoir !

En conclusion, tout ceci n’est qu’un épiphénomène parasite. Ne laissons pas ce parasite nous distraire de nos véritables ennemis que sont les grands prédateurs de la recherche, gardons notre objectif qui est, à terme, de pouvoir diffuser librement toute information émanant de nos recherches sans contrainte légale et/ou financière, via l’Accès Libre Vert.