septembre 2006


Ce jeudi 28 septembre, une conférence-débat sera organisée à la Salle Académique de l’Université de Liège, à l’initiative du Centre Jean Gol et du CReF (Conférence des Recteurs francophones) sur le sujet préoccupant du financement des universités.
On ne trouvera personne, dans les universités, dans la presse, dans les cabinets ministériels ou dans les quartiers généraux des partis politiques pour nier que la dernière et désormais la seule véritable ressource de notre pays, de notre Communauté, est la matière grise, celle-là même qui nous permet de rester « dans le coup » de la compétition internationale, de la mondialisation des biens et des produits. Il ne se trouvera personne non plus pour nier que la vraie ressource n’est pas la matière grise brute, mais que celle-ci nécessite un raffinage, un processing qui la transforme en matière grise élaborée, capable de se hisser sur les épaules des fabricants du savoir qui nous ont précédé et de jouer un rôle réellement créatif, réellement innovant, réellement original. Chacun s’accordera également pour dire qu’il faut veiller à conserver ces innovations chez nous et les exploiter nous-mêmes et on admettra qu’il faut élaborer des systèmes de valorisation efficaces et parfaitement sécurisés.
Néanmoins, toute notre attention doit se porter sur l’étape de raffinage et de finition de la matière grise et ces procédés sont le fait de l’enseignement supérieur et, par excellence, de l’Université.

Le financement des universités, c’est donc exactement comme l’arrosage et l’épandage d’engrais sur des cultures précieuses : il doit être abondant et régulier. Et ces soins doivent être prodigués dans l’intérêt de tous. Croire qu’il s’agit là d’un luxe onéreux est tout simplement de la mauvaise gestion.

Pour accomplir leurs missions d’enseignement et de recherche (on ajoute souvent « de service à la communauté » mais l’enseignement et la recherche SONT des services à la communauté ! Ce sont les meilleurs services que nous puissions rendre, d’ailleurs !) les universités ont besoin d’un financement adéquat. Tous les spécialistes sont d’accord pour dire que le financement est insuffisant. Et il ne s’agit pas là de ma part d’un discours corporatiste primaire, mais de l’expression de l’intérêt général.

Au moindre souci budgétaire, au moindre frémissement financier, c’est immédiatement l’Université, la Recherche et la Culture qui sont en point de mire des réductions de budget. Or ce sont là les vraies originalités, les vraies spécificités d’une nation telle que la nôtre. Dans la plupart des autres domaines, nous faisons « comme tout le monde » et, en général, pour plus cher, ce qui nous met en position concurrentielle difficile. C’est donc la spécificité qu’il faut cultiver, la spécificité de recherche et d’innovation de même que la spécificité culturelle.

Et pourtant, l’article publié dans la Libre Belgique d’hier, mardi 26 septembre 2006 (p.20), confirme mon diagnostic en annonçant que la sixième phase des Pôles d’Attraction Interuniversitaires (PAI) qui est actuellement en discussion est dangereusement menacée, le Gouvernement fédéral, qui connaît à l’heure actuelle des difficultés de nature politique et budgétaire, envisageant de réduire, voire de supprimer le financement des PAI. Une telle décision, s’il ne s’agissait pas d’une simple rumeur, porterait un coup fatal à la recherche scientifique fondamentale dans nos universités.

Lancé en 1987 par Guy Verhofstadt, alors Ministre de la Politique scientifique fédérale, ce programme de recherche ambitieux était conçu pour édifier des réseaux de recherche interuniversitaires au sein desquels travailleraient, en parfaite collaboration, les meilleurs chercheurs des Communautés francophone et néerlandophone sur des thématiques innovantes et extrêmement compétitives, et cela en bénéficiant de moyens comparables aux meilleures équipes mondiales.

Rapidement, le programme PAI prit son essor et remplit parfaitement son rôle, finançant les recherches de plus de 500 spécialistes au sein de 36 réseaux inter-universitaires, sévèrement triés sur le volet et leur permettant de dégager une production scientifique abondante et de grande qualité dans tous les domaines du savoir. Ces réseaux d’excellence sont pour beaucoup dans la réputation internationale de la recherche belge.

Cinq phases successives ont été accomplies de 1987 à 2006. En principe, la sixième phase devrait être lancée en janvier 2007. Plus de 80 projets ont été sélectionnés par des experts étrangers et on attend 143 millions d’€ à répartir sur une période de cinq ans (les recteurs des deux communautés ont demandé qu’on monte à 200 millions, en raison du nombre et de la qualité des projets).

L’article de la Libre laisse penser que certains envisageraient de retarder, ou même d’abandonner ce programme d’excellence, en contradiction avec le bon sens élémentaire d’un soutien aux efforts de recherche en Belgique et avec les déclarations et engagements du Comité Interministériel de la Recherche Scientifique et du Gouvernement fédéral.

Les recteurs, stupéfaits, se sont immédiatement concertés et ont pris contact avec l’ensemble des forces politiques fédérales, régionales et communautaires. En effet, une telle mesure menacerait la survie de nombreux laboratoires et groupes de recherche, beaucoup de chercheurs se retrouveraient rapidement sans emploi, et seraient ainsi amenés à chercher des opportunités à l’étranger, forts de la formation de qualité qu’ils ont acquise chez nous grâce à un investissement important des deniers publics.

Selon des informations obtenues ce matin, le Cabinet du Premier Ministre confirmerait le maintien du budget de la sixième phase des PAI et celle-ci prendrait bien cours le premier janvier prochain. On s’en doute, l’augmentation de 57 millions d’€ que le CReF et le VLIR (Conférence des recteurs néerlandophones) avaient demandée et que nous avions de bonnes raisons d’espérer, ne pourra hélas pas être honorée. Quoi qu’il en soit, c’est là quand même une excellente nouvelle qui ne manquera pas de rassurer tous ceux qui se sont émus à la lecture de cet article de presse alarmant.

Nous pouvons nous féliciter de la solidarité de tous les recteurs tant francophones que néerlandophones, ainsi que de la promptitude et de l’efficacité de leur réaction à une information déroutante qui, nous le savons maintenant, était fondée. Nous devons aussi remercier les services du CReF et du FNRS pour leur soutien dans le dénouement heureux de cet épisode.

Ce jeudi 21 septembre, j’ai présenté un exposé au « Grand Liège ».
Le texte est disponible dans la rubrique « Pages », à droite de l’écran.

Née à Riga, capitale de la Lettonie, en décembre 1937, à la veille de la seconde guerre mondiale et de l’occupation de son pays par l’Union soviétique, puis par l’Allemagne nazie, puis de nouveau par l’URSS, Vaira Vike-Freiberga vécut une enfance troublée par la guerre et ses conséquences. Le 1er janvier 1945, face à une nouvelle domination soviétique, ses parents émigrèrent dans les camps de réfugiés à Herrenwiek et à Lübeck en Allemagne, puis à Daourat et à Casablanca au Maroc.

En 1954, elle arrive au Canada à l’âge de 16 ans. Pendant un an, elle doit interrompre ses études et travailler dans une banque. Entrée à l’Université de Toronto à 17 ans, elle obtient un B.A. en 1958 et un M.A. en psychologie en 1960. Durant ses études elle travaille comme enseignante dans une école privée de jeunes filles et comme traductrice d’espagnol. Elle est engagée comme psychologue clinicienne à l’Hôpital psychiatrique de Toronto. Elle reprend ensuite des études et obtient un doctorat en psychologie expérimentale (Ph.D.) de l’Université McGill à Montréal en 1965. Elle parle le letton, le français‚ l’anglais‚ l’allemand et l’espagnol. Restée très attachée à son pays natal, elle s’est montrée toujours très active au sein de la communauté lettonne du Canada. Dès 1957, elle s’implique activement dans les activités de service communautaire portant surtout sur les questions d’identité et de culture lettone et de l’avenir politique des pays baltes.

Elle embrasse alors une carrière scientifique puis académique à l’Université de Montréal où elle enseignera jusqu’en 1998 comme professeur de psycho-pharmacologie et psycholinguistique. Elle consacrera ses travaux à la recherche sur les mécanismes de la mémoire et du langage ainsi qu’à l’étude de l’influence des drogues sur les processus cognitifs. Elle devient présidente de la « Canadian Psychological Association », de la « Social Science Federation of Canada », de l’ »Association for the Advancement of Baltic Studies », de l’Académie des Lettres et des Sciences Humaines à la « Royal Society of Canada ». Elle a également assuré la vice-présidence du « Canadian Science Council ». Elle fut présidente et représentante du Canada au « Human Factors Panel » du « NATO Science Program ».

En parallèle, elle poursuit des recherches sur la sémiotique, la poétique et la structure compositionnelle des textes des « Dainas », les chansons folkloriques lettonnes. Elle écrira neuf livres et environ 160 articles ou chapitres de livres et donnera plus de 250 communications scientifiques ou générales ­- publiées en anglais, français ou letton. En 2004, Vaira Vike-Freiberga deviendra membre de l’Union des Ecrivains de Lettonie. Elle est également membre de l’Académie lettonne des Sciences.

En 1998, elle reçoit le titre de Professeur émérite de l’Université de Montréal et elle se voit offrir la direction de l’Institut Letton, une institution toute neuve créée après la libération du joug soviétique et dont l’objectif est de faire connaître et de promouvoir la nouvelle République de Lettonie et les lettons dans le monde entier.

C’est dans un pays en plein effort pour s’ériger en une démocratie occidentale moderne, compétitive au sein de l’économie de marché qu’elle revient enfin et il ne faut même pas un an pour qu’elle soit élue Présidente de la République le 17 juin 1999. N’appartenant pas à une formation politique, elle fut choisie comme une candidate de compromis par la Saeima (le Parlement letton) qui ne pouvait départager les candidats politiques en course, en raison du respect que lui portaient ses compatriotes et malgré le peu de temps qu’elle ait vécu en Lettonie. A cette époque, la seule évocation de l’entrée de la Lettonie dans la Communauté européenne ou dans l’OTAN faisait sourire. La corruption régnait à un niveau qui faisait obstacle à son éventuelle candidature, de même qu’une grande répulsion chez beaucoup de lettons influents à entamer un processus de démocratisation. Enfin la discrimination institutionnelle envers la minorité d’origine russe était également inquiétante.

Aujourd’hui, après bientôt deux mandats de quatre ans pour Vaira Vike-Freiberga à la Présidence (elle a été réélue en 2003 par la Saeima avec 88 voix sur 96!), la Lettonie a changé du tout au tout. Très populaire dans son pays, elle y a instauré une vraie démocratie, une stabilité politique évidente et une croissance économique sans précédent. Une réforme legislative a été opérée en profondeur pour atteindre les pratiques du reste de l’Europe en un temps record et la Lettonie a rejoint la Communauté européenne en 2004. Très active sur le plan international, elle a même réussi à entamer avec la Russie un processus de détente. De ce fait, Vaira Vike-Freiberga a réussi à hisser son pays au niveau européen et à effacer en Lettonie un sentiment eurosceptique très répandu. Elle est membre du « Council of Women World Leaders » et elle a reçu en 2005 le Prix Hannah Arendt pour la pensée politique. Ses prix et distinctions internationales sont innombrables et elle est docteur honoris causa de 8 universités.

Elle a épousé un letton, Imants Freibergs, qui fut professeur d’informatique à l’UQAM et qui préside aujourd’hui l’Association Lettonne des Technologies de l’Information et de la Communication. Ils ont deux enfants.

En 2005, elle a été nommée Ambassadrice Spéciale du Secrétaire Général de l’ONU pour la réforme de l’organisation. Une partie de la presse internationale la voit succéder à Kofi Annan, les élections se déroulant ce mois-ci.

A lire la tracé de ce parcours exceptionnel, on comprendra que nous ayons souhaité rendre hommage à une telle personnalité, à un moment ou, plus que jamais, le monde — et donc notre université — s’interroge sur la place de la femme dans la société, sur l’élargissement de l’Europe avec ses difficultés financières et ses richesses culturelles, sur le sort des minorités, sur la problématique des migrations et des déportations forcées, sur les enjeux des guerres en général et sur l’entente entre les peuples. Nous serons fiers de recevoir cette grande dame à notre tribune le 2 octobre prochain.

En honorant à la fois quelqu’un qui représente un symbole vivant de tous ces questionnements, une présidente de République en activité, une candidate crédible à la plus haute fonction pour la paix dans le monde qui fut également une grande chercheuse et une enseignante universitaire de grande qualité, nous sommes sûrs que cette Rentrée Académique 2006 restera à tout jamais un très grand moment de l’Histoire de notre Université.